Vingt ans d'un pouvoir qui n'a rien prévu

 Le président Blaise Compaoré, beaucoup plus que ses prédécesseurs, est comptable de la situation de détresse mis en exergue par les dernières pluies diluviennes sur le pays. Après 25 ans de pouvoir sans partage, le Burkina Faso est toujours avant dernier dans le classement du PNUD pour l'indice de développement humain et il n'est pas suffisamment outillé pour faire face à la moindre petite catastrophe naturelle.

Devant la soudaineté et la rapidité de la catastrophe, l'émotion ne nous permet pas la lucidité de bien voir les choses. La quantité d'eau tombée est incontestablement extraordinaire, surtout pour une année annoncée comme déficitaire en pluie. Mais si on observe bien l'évolution de la saison des pluies de ces cinq dernières années, on ne doit pas être trop surpris de la catastrophe survenue à Ouagadougou et dans certaines contrées du pays. Nous évoluons vers des saisons de pluies qui s'installent tardivement et qui se concentrent en précipitation sur de très courtes périodes. En 2006, la saison s'est effectivement installée le 15 juillet sur l'ensemble du pays et les pluies sont tombées sans discontinuer en 60 jours. Les dernières pluies sont tombées aux alentours du 15 septembre et plus rien. Quand on considère que sur l'ensemble du pays, les cycles des cultures ont une durée de 80 à 90 jours, les pluies en 2007 se sont arrêtées au moment crucial de l'épiaison. Mais cette année aussi avait connu ses catastrophes dans la région de Banfora et du Boulgou. Des quantités énormes d'eau avaient détruit les maisons et les récoltes. Mais c'était moins spectaculaire que ce que nous avons vu à Ouaga cette année, parce que aussi la concentration humaine n'est pas la même. A Ouagadougou, nous avons une population de 1 500 000 environ, alors que pour Banfora et des villes comme Bittou cela fait à peine 150 000 personnes.


Un autre élément qui devrait nous emmener à relativiser les choses, c'est le nombre des sinistrés. 150 000 sans abri c'est énorme. Mais quand on reporte cela au nombre d'habitants cela reste dans des proportions qu'un gouvernement normal doit pouvoir gérer par les mécanismes régaliens de gestion des catastrophes. Les 150 000 sinistrés représentent 10% de la population de Ouagadougou et environ 1% de la population nationale. Ce qui reste dans les proportions gérables selon les normes ordinaires de prise en charge des catastrophes naturelles.
Il faut certainement saluer la réactivité du gouvernement de Tertius qui a tout de suite décrété la mobilisation générale de l'Etat et des structures de secours. Seulement on se rend compte assez vite qu'en dehors de " l'émotionnel " il n'y a pas de mécanismes prévus pour prendre en charge pareille situation. Le CONASUR est prévu pour donner à manger en année de déficit de production des céréales. Il n'est pas habilité au secours des personnes sans abri. L'ironie du sort, notre principal hôpital, le dernier recours en matière de santé, a été le premier sinistré. Or une structure du genre est conçue pour rester une citadelle inaccessible. Un refuge contre tous les tsunamis. On peut dire que nous sommes vraiment dans le dénuement total face à la moindre imprévue.
Les besoins actuels de prise en charge des sinistrés sont estimés, dans l'urgence, sur des calculs non rendus publics, à environ 70 milliards de francs cfa, dont 7 milliards environ dans l'urgence. Cela reste évidemment des estimations à " l'excès " dans l'espoir d'avoir le minimum qui correspond aux besoins réels. Mais quand on rapporte ce besoin à notre budget de l'année en cours, estimé à environ 1040 milliards de francs, avec un besoin de financement, d'environ 125 milliards entièrement couvert par " des appuis budgétaires ", le besoin pour la catastrophe est de 6% environ du budget. En terme absolu c'est énorme, mais relativement à ce que le gouvernement dépense pour des prestiges qui ne se justifient pas toujours, c'est un besoin qui peut être supporté par notre Etat. A titre de comparaison, il faut noter que le président Blaise Compaoré pour les besoins de sa nouvelle fonction de " facilitateur " a créé deux nouvelles ambassades à Lomé et à Abidjan. Deux ambassadeurs plénipotentiaires ont été nommés à Lomé et à Abidjan avec des fonctionnaires et du personnel qui est pris en charge par le budget national. A cela il faut ajouter les nombreux palais inoccupés du président à travers le pays. Pour la seule année 2008, le nouveau palais du président à Fada, à l'occasion des festivités du 11 décembre, a coûté pas moins de 2 milliards, construction et équipements compris. Pour la célébration de Ouahigouya le budget de l'Etat devrait cracher autant de milliards pour le bon vouloir des princes qui nous gouvernent et principalement pour le premier d'entre eux, Blaise Compaoré, dont le palais, sur la route de Titao, devrait être complètement rénové à coût de centaines de millions pour l'accueillir juste pour une nuit.


Au regard de ces dépenses somptueuses qui coûtent des milliards de francs cfa à l'Etat burkinabè, il est tout à fait envisageable de racler les fonds de tiroirs pour faire face à la présente catastrophe naturelle. Dans la prise en charge des sinistrés et des sinistres, il y a deux phases importantes. La situation d'urgence qu'il faut gérer et la réinsertion des victimes à prévoir. Pour l'urgence à gérer, les moyens de bord ont permis de loger les familles sinistrées dans les édifices publics. Mais c'est une situation qui ne peut pas durer plus de deux semaines. Il faut dans les tous prochains jours envisager le retour des sinistrés chez eux. Qu'est-ce qui sera fait pour que chacun se trouve un toit sur la tête ? Cette question est encore plus cruciale puisqu'il n'est pas possible de confectionner actuellement des briques en terre. Il continue de pleuvoir. Quelles solutions provisoires pour loger les familles, le temps qu'elles retrouvent quelque chose de relativement sûr ? Que va faire l'Etat ? Les 70 milliards incluent-ils ces aspects du sinistre ? Ce qui est bien explicité c'est qu'il faut dans l'urgence un milliard et demi pour nourrir les sinistrés. Et un autre milliard et demi pour le " matériel de survie ". Rapporté au nombre de sinistrés déclarés, chacun d'eux va coûter environ 20 000 F CfA. C'est pas extraordinaire, il suffirait de demander aux députés de sacrifier chacun 30 jours de frais de session, donc les deux sessions extraordinaires de l'année, pour réunir l'essentiel de la somme.
Il va rester le plus dur. Comment aider les sinistrés à retourner chez eux ? Le gouvernement a prévu dans les premières urgences un milliard de francs pour la " viabilisation des sites ". A quoi correspond cet intitulé ? Il n'est pas bien spécifié.
Les chiffres sont apparemment assez exhaustifs : 24 489 maisons se sont écroulées pour un dommage estimé à environ 13 milliards de nos francs. Le rapport là aussi est de 550 000 F CFA par concession. Une estimation raisonnable au regard du marché de la construction.

Des réponses inappropriées
et insuffisantes


Au conseil des ministres qui a suivi la survenue du drame, le gouvernement semble vouloir se constituer en gestionnaire de la solidarité nationale et internationale. Le gouvernement lui-même n'a pas indiqué quelles mesures immédiates il comptait prendre et combien de francs il allait débloquer pour prendre quel aspect du sinistre. Dans une situation comme celle-là, un gouvernement fait d'abord des efforts et ensuite demande de l'aide pour un aspect précis qui n'est pas couvert par son effort. Or telle que les choses se présentent, le gouvernement va tendre une sébile dont le contenu devrait lui permettre d'agir. Mais agir comment ? Toute la question est là. Dans des situations de drame national, comme celle-là, des personnes de peu de scrupule n'hésiteront pas à s'enrichir. On peut même, sans risque de se tromper, dire qu'au regard des tonnages de riz annoncés comme ayant servi à nourrir les sinistrés de la première journée, que les ripoux sont déjà passés à l'acte. Les fonds en espèces qui arrivent à flots sont encore plus faciles à détourner, puisqu'ils ne sont pas donnés pour affectation précise.
Les sociétés modernes ont ceci de particulier qu'elles préparent les imprévus pour mieux y faire face. La façon dont nous gérons nos catastrophes montre que l'on ne s'y prépare pas. On peut alors se demander à quoi nous aura servi la longue stabilité politique dont nous nous ventons ? Pour l'instant la majorité des Burkinabè ne semble pas en tirer profit. La situation de pauvreté dans le pays ne s'améliore pas. La qualité de la gouvernance encore moins. Pour l'instant, le seul qui surfe sur les bienfaits de la stabilité politique, c'est Blaise Compaoré.
Il faudra cette fois être quand même plus rigoureux avec l'argent que l'on va recevoir. Ne pas dépenser l'essentiel des contributions en frais de prise en charge et ensuite faire un bilan réel et honnête des dépenses. Pour cela le gouvernement doit nommer un gestionnaire reconnu pour sa probité pour gérer les contributions. NAB



03/10/2009
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