USA : Les avocats mobilisés contre la fraude
Démocrates et républicains, qui s'accusent mutuellement de chercher à fausser le résultat du scrutin, ont commencé à mobiliser une armée de juristes. Leur présence est le meilleur espoir d'assister à une élection honnête, affirme la chroniqueuse judiciaire de Slate. Le risque de fraudes électorales persiste aux Etats-Unis. Des milliers d'avocats préparent déjà le pire, mais désamorcent aussi certains litiges.
C'est aujourd'hui un truisme électoral : à l'approche du grand jour, les deux camps enrôlent une armée d'avocats. Cette fois encore, les deux équipes en alignent plusieurs petits bataillons, même si elles ne souhaitent ni en donner le nombre exact, ni détailler leur stratégie en cas de litige.
Que chercheront ces juristes le 4 novembre, et que prévoient-ils de faire s'ils trouvent ce qu'ils cherchent ? Sachant que près de 9 millions de nouveaux électeurs se sont inscrits, les avocats des deux camps partiront à la chasse de leur bête noire électorale favorite. Les démocrates affirment traditionnellement que les républicains veulent perturber le vote – en particulier celui des étudiants et des minorités – en se livrant à des intimidations devant les bureaux de vote, en passant des appels automatiques menaçants, et en procédant à des purges illicites des listes électorales. Les républicains ripostent – comme John McCain l'a expressément déclaré lors du dernier débat – en prétendant que les démocrates "détruisent le tissu de la démocratie" en inscrivant Mickey, Minnie, Donald et Daisy, lesquels iront voter dans un effort coordonné pour voler l'élection.
Des actions en justice ont déjà été intentées et résolues, ce qui, en un sens, est préférable à la perspective d'un recomptage des voix en décembre. Les avocats des démocrates ont manifesté leur volonté de s'atteler le plus tôt et le plus souvent possible à la question des listes. La semaine dernière, par exemple, ils ont fait échouer les efforts des républicains de l'Ohio qui tentaient de contraindre l'Etat de leur communiquer les noms de 200 000 nouveaux électeurs dont les inscriptions ne se retrouvent pas dans les bases de données fédérales.
Les hommes de loi d'Obama ont également intenté une action dans le Michigan pour arrêter les projets des républicains, qui auraient prévu d'utiliser les listes des saisies hypothécaires pour remettre en cause le droit de vote de certains électeurs. L'action s'est conclue par un accord, les républicains s'engageant à ne pas le faire. Dans l'autre camp, des actions intentées par le Parti républicain de l'Etat du Montana (qui conteste l'inscription essentiellement d'étudiants et d'Amérindiens) et du Wisconsin (afin, là encore, de croiser les données sur les nouveaux inscrits avec les bases de données de l'Etat) semblent vouées à l'échec.
Outre ces équipes juridiques préventives, les deux équipes de campagne disposent d'un deuxième cercle d'avocats d'élite prêts à intervenir le jour du scrutin. Mais qu'en est-il des milliers de juristes qui seront mobilisés le jour même ? Fort heureusement, tous ne sont pas au service des deux camps. Jonah Goldman, le directeur de la campagne nationale pour des élections équitables (National campaign for fair elections), une association non partisane, explique que son organisation va déployer 10 000 volontaires le 4 novembre. Certains auront pour mission de s'occuper des lignes téléphoniques d'urgence, d'autres seront sur le terrain dans les bureaux de vote. A New York, des cabinets juridiques d'élite superviseront des centres d'appels, dont une ligne verte en espagnol, toutes ayant pour but de fournir des "conseils directs et sans influence des partis" aux électeurs qui se heurteraient à des difficultés, poursuit Goldman.
Richard L. Hasen, professeur de droit électoral à la faculté de droit Loyola, confirme que la plupart des milliers de juristes qui travailleront le 4 novembre ne se précipiteront pas forcément dans les tribunaux pour déposer des plaintes spectaculaires. Ils vont plutôt rôder autour des bureaux de vote, et veiller à ce que les nouveaux électeurs ne soient pas harcelés, qu'ils n'aient pas recours à des machines défectueuses. A défaut, toutes ces équipes de vigilants avocats se surveilleront mutuellement, ce qui, à l'issue d'une campagne aussi tendue et agressive, n'est peut-être pas un mal.
Le litige électoral est un secteur en pleine explosion, même avec une économie qui s'écroule. Le professeur Hasen vient de publier une étude qui montre que le nombre d'actions intentées pour des raisons électorales a augmenté, passant d'une moyenne de 94 dans les quatre ans qui ont précédé la présidentielle de l'an 2000 à une moyenne de 230 pendant les six années suivantes.
Paradoxalement, la meilleure façon de vacciner l'Amérique contre la pandémie croissante d'accusations de "fraude électorale" de la part de la droite, et contre la peur des intimidations et des manipulations dans les rangs de la gauche, c'est peut-être de mobiliser davantage d'avocats. C'est pourquoi le rôle le plus important dévolu aux juristes qui virevoltent autour de l'élection 2008 sera peut-être d'être tout simplement présent, afin d'éviter les pires conflits et d'assister aux moins redoutables. En déployant assez d'avocats, peut-être pourra-t-on prévenir tout incident dans les bureaux de vote ainsi surveillés.
Dahlia Lithwick
Slate