Une route qui engloutit des milliards

La route Banfora-Mangodara
Une route qui ne finit pas d'engloutir des milliards
Que se passe-t-il exactement sur la route Banfora-Mangodara ? Depuis 2004, l'Etat débourse des milliards sur un tronçon d'à peine 100 kilomètres sans obtenir des résultats probants. Il n'en fallait pas plus pour que des soupçons de malversations se répandent.

Dans ces délibérations du 30 septembre dernier, le Conseil des ministres décide de remettre de l'argent sur la route Banfora-Mangodara. Selon cette délibération, il s'agit des travaux d'entretien périodique sur une portion de 49 km et consistent essentiellement en la réalisation de terrassements et la mise en place de signalisation. Le marché est attribué à l'entreprise COGEB International SA pour un montant de un milliard quatre cent quatre vingt quinze millions quatre cent huit mille francs (1 495 408 100 F CFA) en TTC avec un délai d'exécution de six (06) mois. Aussitôt la décision connue, plusieurs réactions de désapprobation nous sont parvenues dont celle-là formulée avec plus de précision : " Vraiment ce qui se passe au pays, ce n'est pas sérieux. On comprend pourquoi les immeubles et grosses voitures sont visibles partout. Etant dans le BTP, et ayant eu à faire avec le projet … Je peux vous dire que c'est un projet exécuté depuis deux ans. Le hic est qu'il y a eu des mésententes sur la répartition des sous (marges bénéficiaires) et les paiements avaient été bloqués en son temps. On relance donc le projet, faisant croire que c'est un nouveau projet, pour débloquer les sous restants, les mésententes des paiements ayant été réglés au préalable. Dommage : on cultive la médiocrité et chacun veut gagner et le plus vite possible les sous, au détriment d'autres ! "
Avec cette information, nous avons d'abord vérifié si effectivement, il y a eu dans les deux années précédentes un marché pour la réfection de la même route. Nous avons effectivement trouvé les traces d'un autre marché attribué en janvier 2007, par la voie du Conseil des ministres. " Le Conseil des Ministres s'est tenu le mercredi 17 janvier 2007 en séance ordinaire à partir de 09 heures sous la présidence de Son Excellence Monsieur Blaise Compaoré… Il a délibéré sur les dossiers inscrits à son ordre du jour.

I. DELIBERATIONS
I.1 Au titre du Ministère des Finances et du Budget

Le deuxième rapport est relatif à une demande d'autorisation pour la passation de deux (02) marchés de gré à gré avec l'entreprise COGEB International et l'entreprise Oumarou Kanazoé.

Cette autorisation permettra d'une part, avec l'entreprise COGEB International, l'exécution des travaux supplémentaires et confortatifs de la route départementale n° 65 Banfora- Mangodara …"
Pour en savoir un peu plus, nous avons contacté le premier responsable de l'entreprise COGEB International qui nous a répondu qu'ils étaient des sioux et qu'ils n'ont pas une tradition de parler à la presse. Le patron de COGEB nous a enjoint de nous adresser au ministère des Infrastructures. C'est ce que nous avons fait avec l'entregent du Conseiller en communication du Premier ministre. Voici ce que nous avons recueilli comme information :
Effectivement en 2007, un marché avait été attribué à la même entreprise COGEB International SA par la procédure du gré à gré pour un montant de 932 898 491 f CFA HT HD. Ce marché visait à mettre la chaussée hors d'eau du PK 0 au PK 51 et la construction de tous les ouvrages prévus dans le cadre du projet, c'est-à-dire du PK 0 au PK 99. Selon les spécifications techniques du marché de 2007. Le dernier marché attribué par le Conseil des ministres du 30 septembre passé concernait le dernier tronçon de 48 km restant. Il vise également à mettre le tronçon hors d'eau et à réaliser des terrassements et des signalisations. De prime à bord, il n'y a donc rien d'anormal. Il y a eu effectivement, sur deux ans, deux marchés pour la même route, mais c'est pour la même chose sur deux tronçons différents. La même chose qui ne coûte quand même pas le même prix pour une longueur de tronçon sensiblement égale. Des détails disent les initiés. Mais comme on dit, c'est dans les détails que se cache le diable et l'observation des interventions sur cette route depuis 2001 ne rassure pas.
Effectivement, tout commence en 2001. La Banque africaine de développement (BAD) octroie un prêt à l'Etat burkinabè pour l'entretien périodique de la route Banfora Mangodara. Les travaux sont estimés à 883 136 343 F CFA. Mais l'argent n'a pas été immédiatement obtenu. En 2004, quand le financement arrive, l'enveloppe initiale ne suffisait plus à faire les travaux prévus. La BAD accorde alors un avenant de 711 901 445 F CFA, c'est-à-dire qu'entre 2001 et 2004, les coûts on été presque multipliés par deux. Mais malgré tout, l'enveloppe ne suffira pas à exécuter les travaux dans les règles de l'art. L'Etat est contraint de remettre la main à la poche pour un montant à peu près équivalent pour réaliser des terrassements et faire les remblais indispensables.
A mesure que la route se construit, elle coûte de plus en plus cher à l'Etat et le standard de qualité pour ce type de route n'est jamais atteint. En 2007, l'Etat est obligé de débloquer environ un milliard (exactement 932 898 491 f CFA HT) pour terminer ce que la première dotation n'avait pas permis de faire. Mais une fois de plus, les travaux ne seront pas complètement achevés. Et toujours ce qui reste à faire coûte presque le double de la prévision initiale. Le dernier marché, celui octroyé à COGEB International SA (délibération du 30 septembre 2009) est presque le double de celui de 2007, mais ne concerne que la moitié du tronçon 48 km. Comment expliquer ce renchérissement continu des coûts des travaux ? Pour les responsables techniques, c'est parce qu'en cours d'exécution, des modifications ont été apportées au projet initial de la route. A partir de 2007, la route a été élargie à 7 mètres, alors que dans le projet initial, sa largeur était de 6 m. Les ouvrages d'art, eux, ont été rallongés à 9m. Il a fallu donc reprendre à chaque fois des travaux identiques : travaux préparatoires, terrassement, chaussée, ouvrages d'assainissement, signalisation et sécurisation.
Sans être un spécialiste, il y a des raisons de douter de la capacité des ressources humaines du ministère des Infrastructures, si elles ne sont pas capables de faire des prévisions sur deux ans. L'impression qui se dégage, c'est que tous les deux ans, les prévisions sont dépassées et l'Etat est contraint de faire des avenants pour les prendre en compte. Plus grave, les avenants sont parfois le double des coûts initiaux. Comment est-ce possible ?
La règle dans les marchés publics dispose que l'avenant d'un marché ne peut excéder le tiers du montant initial, autrement il faut procéder à une nouvelle consultation car c'est d'un autre marché qu'il s'agit. En 2004, l'avenant était de 700 millions pour un marché initial de 800 millions environ. Ensuite en 2007, l'Etat dans la même logique accorde près d'un milliard sur fonds propres pour faire des travaux supplémentaires dans le cadre d'un interminable marché.
Le marché de la route Banfora-Mangodara pose beaucoup d'inquiétudes quand aux capacités de prévision de nos techniciens et à la clairvoyance du gouvernement dans la gestion et le suivi des projets. En 2001, la largeur de la route est estimée à 6 m. En 2004, ces prévisions sont dépassées et il faut reconsidérer l'ensemble du marché pour des coûts une fois et demi supérieure aux prévisions initiales. Pour un Etat qui doit s'endetter pour construire ses routes, il y a un vrai souci à se faire. Pour la seule route Banfora-Mangodara, longue d'à peine 100 km, l'Etat s'est endetté pour un milliard et demi de francs CFA. Cela n'a pas suffi, il lui a fallu racler ses tiroirs pour presque deux milliards pour faire une route qui n'est toujours pas aux normes. Il faut savoir que c'est d'une route en terre qu'il s'agit. Si on fait le ratio coût/km, Banfora-Mangodara coûte pour l'instant environ 40 millions le km. Au même moment, l'Etat doit faire face à l'encours de la dette qu'il a contractée pour la réaliser.
Autre aspect qui ne manque pas d'intriguer, tous ces marchés sont passés par la détestable procédure du gré à gré et toujours pour le bénéfice de la même entreprise : COGEB International SA. On peut donc comprendre le premier responsable de cette entreprise. Quand tout un Etat a autant de sollicitude envers vous, il ne vous reste plus qu'à vous faire "sioux".

L'entreprise de la belle mère nationale, SACBTP est l'adjudicatrice du marché. Par son coût, c'est l'un des plus importants marchés BTP actuellement en exécution dans la capitale burkinabè. Les 7 kilomètres vont de la sortie de Ouagadougou, (établissement d'enseignement BETESTA) non loin du barrage de Boulmiougou, au rond-point de la Bataille du Rail face au FESPACO. Quelle sera la physionomie définitive de la route ? Deux options en présence : une avec des contre allées et une autre sans contre allées. La première option avec contre allées est évidemment la plus aboutie, comme on peut le percevoir sur le croquis. Cette option comprend au moins trois voies de chaque côté, avec des contre allées pour cyclistes et piétons. La deuxième option comprend deux voies de chaque côté avec une piste cyclable, juste comme le boulevard général de Gaulle.
Au regard des coûts, 13 milliards de francs cfa environ, il faut souhaiter que ce soit l'option avec des contre-allées qui l'emporte. Parce que autrement, on aura l'une des routes les plus chères du monde. Le ratio est en effet, pour cette route d'environ 2 milliards de francs cfa pour un kilomètre. C'est énorme. Sauf que la belle mère nous a déjà réalisé à Ouagadougou une simple route pour un milliard le kilomètre. Alors est-ce encore la même chose qui nous sera réservé ? Attendons de voir.
L'option définitive ne serait pas encore arrêtée, par contre depuis le 15 octobre 2009, les travaux ont commencé sur le tronçon. Les grands calcédrats de l'ère coloniale ont été abattus et les commerçants installés le long de la voie déguerpis. Les travaux sont prévus pour durer 15 mois environ avec la réalisation d'un nouveau pont au niveau du barrage de Boulmiougou. Il y a donc en perspective de gros travaux sur le tronçon, l'un des plus emprunté de la capitale qui dessert les gros quartiers Gounghin, Hamdalaye et Pissy.
Les travaux sont financés par la Banque Islamique de développement (BID) et sur budget de l'Etat. Nous n'avons pas pu avoir l'apport respectif de chacun des intervenants.
Cette route est l'un des ouvrages d'importance réalisé par la SACBBTP de la belle mère, une jeune entreprise de BTP. De sources proches de la patronne, il n'y aurait une volonté ferme de faire une œuvre exemplaire dans l'objectif de faire taire ces mauvaises langues qui ont transformé le nom de la belle mère en "kouraba" (pot en plastique vendu par les femmes Yoruba).
L'ouvrage est de toute façon d'une importance stratégique pour la capitale. Ce n'est pas le Brandebourg, mais c'est tout comme, puisque c'est par là que passent la grande majorité des visiteurs de Ouagadougou, qu'ils viennent de Bobo-Dioulasso ou des pays limitrophes comme le Mali et la Côte d'Ivoire. C'est donc un ouvrage portique qui marquera à jamais le labelle SACBTP. Pour cette raison, on peut espérer un travail de qualité. Autrement, il ne faut pas trop compter sur les contrôles techniques pour contraindre la belle mère. Ils ne sont pas nombreux ces techniciens qui peuvent contraindre la belle mère nationale à faire ce qu'elle ne veut pas. C'est pourquoi cette proximité des affaires et du politique est condamnée. Dans bien des cas, elle ne produit rien de bon. Cette fois, souhaitons que les faits nous démentent, même si les prémices font penser le contraire. Ce marché de 13 milliards a été passé par la procédure du gré à gré. Mais enfin, c'est le printemps du gré à gré. Le prolongement du boulevard de la Jeunesse, dénommé depuis "tengsoba" est attribué à EBOMAF pour 7 milliards de francs cfa en gré à gré sur financement du budget national. Forcément.
NAB



28/11/2009
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