Tasmanie, la dernière pièce antisarkozyste de Fabrice Melquiot
Inédite en France, la dernière pièce antisarkozyste de Fabrice
Melquiot vient d’être montée à Bonn, en Allemagne. Mais, à force d’outrance,
elle rate sa cible présidentielle, regrette la Süddeutsche Zeitung.
Le personnage n’est encore qu’un "petit
grand ministre", mais on est en pleine campagne et il sera bientôt
président, et là, Monsieur Cyning compte bien bouleverser le pays de fond en
comble. La France, assure-t-il, c’est du passé, il faut en changer le nom, et
d’ailleurs il a déjà une idée en tête : la Tasmanie. "Ca sonne bien, non ?
Et ça fait penser à cet animal fascinant." L’animal auquel le candidat
fait allusion, c’est le diable de Tasmanie, un carnassier rare au pelage noir
qui se caractérise par un tempérament agressif, des cris perçants et – en cas
d’excitation – une odeur corporelle particulièrement désagréable. Le nom latin
du diable est Sarcophilus harrisii – et hop, nous voilà arrivés à Sarkozy, plus
connu sous le nom de Nicolas Sarkozy, le héros secret de Tasmanie, la pièce de
Fabrice Melquiot représentée en ce moment au Theater Bonn, dans l’ancienne
capitale fédérale.
Le personnage de cette farce politique haineuse a beau s’appeler Conrad Cyning,
et on a beau rappeler plusieurs fois qu’il s’agit d’une œuvre de pure fiction –
deux précautions valent mieux qu’une –, il présente avec le président français
des parallèles évidents – et voulus. Aucun théâtre n’a encore osé monter la
pièce en France, bien que Fabrice Melquiot, né en 1972, soit dans son pays un
auteur respecté et très joué – il a obtenu en juin le prix théâtre de
l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre.
Il est possible que Tasmanie, avec ses allusions et ses piques, soit un sujet
un peu trop sensible pour les scènes françaises, et que le Theater Bonn mérite
un prix rien que pour avoir eu le "courage" de la monter. Mais il est
aussi fort possible que les programmateurs aient tout simplement trouvé la
pièce trop mauvaise – ce qui est assurément le cas – et que la mise en scène
pseudo-artistique de Klaus Weise, le directeur du Theater Bonn, ne les ait pas
convaincus du contraire.
Fabrice Melquiot montre un candidat à la présidence sans scrupules, affamé de
reconnaissance médiatique, ivre de drogues comme de lui-même, que le désir de
parvenir au pouvoir à tout prix pousse à de grandes déclarations patriotiques
relevant d’un zèle carrément missionnaire. La pièce est un navet sans suspense
et sans intérêt qui se voudrait parabole politique mais qui est bourré de
niaiseries et de blagues idiotes. Ce genre de texte, c’est comme ces chiens
excités qui aboient : ça fait beaucoup de bruit mais ça ne mord pas. Pour faire
passer le tout sur scène, il aurait fallu en faire une farce enlevée, crue,
ignoble, mais pas ce spectacle bourré de prétentions artistiques et de
clinquant boulevardier sur fond de sonates pour piano ou cordes.
La mise en scène de Weise manque totalement de style. Pas de satire grinçante
ici, c’est tout simplement le règne du mauvais goût. Thomas Huber, qui incarne
Cyning, le petit qui voudrait devenir grand, ne s’en sort pas si mal. Il a bien
étudié la frénésie sarkozienne et joue un parvenu de la politique surexcité,
hystérique et autoritaire qui est toujours sous pression et ne perd qu’une
seule fois contenance : quand un présentateur de télévision (que la corde
attend déjà) l’interroge sans ménagement. Ce n’est pas avec des mots mais avec
des pets que Marie Santa-Vulva, son adversaire, dans laquelle on reconnaît sans
peine Ségolène Royal, écrase ce Cyning. C’est d’ailleurs tout ce qu’il reste de
ce spectacle : une flatulence.
Christine Dössel
Süddeutsche
Zeitung