Mugabe vers la porte de sortie
En signant le 15 septembre un accord de
gouvernement avec son opposant Morgan Tsvangirai, le président évite la
justice, mais met fin à son règne sans partage de 28 ans sur le pays.
Robert
Mugabe ne paiera pas pour ses crimes. L'accord de partage du pouvoir qu'il a
signé, le 15 septembre, avec son grand rival, Morgan Tsvangirai, va protéger le
président zimbabwéen et ses comparses de toute poursuite pour la sanglante
vague d'assassinats et de terreur qu'ils ont déchaînée contre les sympathisants
de l'opposition et leurs leaders. Mugabe va donc rester président, malgré sa
victoire autoproclamée et ses 90 % de voix qui ont engendré le mépris général.
La dernière fois que les électeurs zimbabwéens ont pu exprimer leur opinion
sans un fusil pointé sur leur tête, c'est-à-dire lors du premier tour de la
présidentielle, au mois de mars, Morgan Tsvangirai l'avait emporté, malgré
l'exil de millions de sympathisants de l'opposition et l'intimidation que le
parti au pouvoir, l'Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique
(Zanu-PF), ne s'était pas privé d'exercer.
Désormais, Robert Mugabe va trôner à la tête d'un gouvernement composé pour
moitié d'hommes qui ont spolié Morgan Tsvangirai de sa victoire en terrorisant,
maltraitant et tuant les sympathisants – et parfois les familles – de l'autre
moitié. Et lorsqu'ils ne se livraient pas à ces activités, ils pillaient la
Banque centrale, volaient des terres et menaient l'économie à la faillite de
par leur incompétence et leur cynisme, laissant des millions de Zimbabwéens au
bord de la famine. Dès lors, un accord qui persuade l'opposition de le
reconnaître comme président et laisse les assassins et les pillards de la
Zanu-PF en liberté peut tout à fait être perçu comme une grande victoire pour
le vieil homme. Mais ce pacte historique renferme des éléments capables de
faire voler en éclats les 28 années du règne de Mugabe, et de restreindre le
pouvoir du seul dirigeant que le pays ait jamais connu jusqu'à ce qu'une
élection propre puisse être organisée.
Dans les coulisses, Morgan Tsvangirai et les leaders du Mouvement pour le
changement démocratique (MDC) parlent de cet accord comme d'un grand tournant.
Certains estiment que le 15 septembre pourrait marquer la fin de leur lutte
pour mettre un terme à la domination politique abusive et parfois violente de
la Zanu-PF – ce que d'aucuns ont appelé "la deuxième guerre
d'indépendance" – et le commencement d'un combat tout aussi difficile pour
prendre le contrôle du gouvernement. S'ils réussissent – et, à de nombreux
égards, cela dépend du MDC lui-même, et non pas de la Zanu-PF –, la promesse de
Robert Mugabe selon laquelle Morgan Tsvangirai ne présidera jamais le Zimbabwe
et la stratégie sanglante qu'il a appliquée pour faire en sorte que cela
n'arrive pas auront fait long feu.
Les deux factions du MDC auront un ministre de plus que la Zanu-PF et le
contrôle du Parlement, ce qui permettra au parti de mettre Mugabe en minorité
et d'élaborer les politiques. Cela permettra aussi au MDC de démanteler
l'appareil de répression qui a contribué à maintenir Mugabe au pouvoir
longtemps après que sa popularité s'est effondrée. Le gouvernement pourra
abolir les lois qui interdisent les journaux, mettent les journalistes en
prison et imposent des restrictions sévères à la liberté d'expression.
Beaucoup de choses vont dépendre par ailleurs de la répartition des ministères,
âprement disputée par les deux leaders samedi 13 septembre. Robert Mugabe
devrait garder la main sur l'armée par le biais d'un ministre de la Défense
issu de la Zanu-PF, ce qui convient au MDC dans la mesure où ce geste rassurera
les généraux. Morgan Tsvangirai a instamment demandé le contrôle de la police,
essentiel s'il prétend garantir au peuple zimbabwéen qu'il pourra voter
librement aux élections à venir. Les deux parties ont bataillé pour le
ministère de la Justice.
Point essentiel, le MDC devrait obtenir le portefeuille des finances, les
donateurs étrangers se refusant à transmettre des fonds à un ministre de la
Zanu-PF. C'est d'ailleurs la perspective de cet argent qui a débloqué les
négociations en vue d'un accord de gouvernement. De plus, un gouvernement de
coalition pourrait modifier favorablement l'équation politique au Zimbabwe.
Reste qu'ils sont nombreux, au sein même de la Zanu-PF, à avoir compris que
leur parti n'a un avenir que si Robert Mugabe n'en est plus le dirigeant et que
saper le gouvernement de coalition ne les aidera pas à améliorer le sort de
leur formation. De son côté, Morgan Tsvangirai va devoir se concentrer sur
l'organisation rapide de nouvelles élections tout en s'attachant à conserver sa
crédibilité. L'accord prévoit l'élaboration d'une nouvelle Constitution dans un
délai de dix-huit mois. Le MDC souhaite la tenue d'élections d'ici à deux ans
environ. A moins que Morgan Tsvangirai ne rate complètement son coup (et on
peine à imaginer que le quotidien des Zimbabwéens ne s'améliore pas si les
devises affluent), les électeurs enverront alors Robert Mugabe aux oubliettes.
Le président du Zimbabwe ne sera certainement pas jugé pour ses nombreux
crimes. Mais il vient sans doute de signer la fin de sa carrière politique.
Chris McGreal
Mail
& Guardian