Salif, Blaise ; la cassure

 

On ne ruse pas indéfiniment avec l'évidence. Depuis septembre 2007, le clash s'était produit entre Salif Diallo et son mentor Blaise Compaoré. Il ne restait plus qu'à fixer la date du divorce. Cela devait être au début février, puis ensuite le président avait décidé de " laisser le temps faire ". Du moins jusqu'aux vacances gouvernementales de juillet prochain. Les événements de la vie chère et la surenchère des partisans de François Compaoré ont précipité les choses.

C'était devenu un secret de polichinelle, que depuis au moins trois ans, le courant n'était plus au beau fixe entre le président et son inconditionnel. Recevant un Français qui avait pour projet d'écrire un livre sur son aîné de président, en septembre dernier, voilà exactement ce qu'avait dit François Compaoré à propos de Salif Diallo : "il est travailleur et fidèle. Quoiqu'en matière de politique, je mets des garde-fous. C'est comme Chirac et Sarko. Il a un tempérament de fonceur. Il ne faut pas jouer à ça dans les dossiers. Il faut mûrir les choses avant. Il est trop direct." Dans cette appréciation, on pouvait percevoir nettement la condescendance, pour ne pas dire plus. Salif Diallo y est peint sous les traits d'un "collaborateur" et non d'"un camarade d'un système qu'il a contribué à installer et à pérenniser". Mais la comparaison avec Sarko est symbolique de l'esprit de la concurrence qui s'est exacerbé entre les deux hommes. Si Salif Diallo est comparé à Sarko, François Compaoré lui se représente sous les traits d'un Dominique De Villepin (ministre des Affaires étrangères, puis Premier ministre de Chirac). Dans cette phrase, transparaît, ou disons, s'oppose la légitimité d'un François Compaoré qui se considère comme un héritier putatif du système institué par son frère, par opposition à un Salif Diallo, " usurpateur " ou tout simplement " un courtisan ". (lire en encadré l'entièreté des appréciations de François Compaoré sur Salif Diallo).

Du reste, pour les observateurs attentifs, depuis maintenant quelques années, la presse sous les ordres de François Compaoré s'évertuait à présenter Salif Diallo sous les traits d'"un usurpateur ". Sous un titre sans équivoque : "Le Déclin de L'Autruche", un de ces journaux dépeignait Salif Diallo sous les traits d'un courtisan qui est en perte de vitesse. Il avait été alors présenté comme " le tigre qui aurait perdu (sans rendre compte) des griffes et ses crocs ". Cette description peu amène survenait après les péripéties qui ont accompagné la nomination de Tertius Zongo comme Premier ministre. Dans un premier temps, cette nomination aurait dû s'accompagner d'un toilettage total de l'équipe Yonli et notamment du départ de Salif Diallo du gouvernement. C'était l'exigence essentielle et non négociable de la famille Compaoré, réunie au complet à Ziniaré, autour de la puissante "mami fétê". Ayant compris cela, Salif Diallo et le dernier cercle des "camarades" se sont organisés pour résister. A l'époque, tous semblaient déplorer "la trop grande suffisance dont semblait faire montre le chef de l'Etat ".
Blaise Compaoré n'a pas voulu alors un clash trop bruyant qui le mettrait, momentanément en froid avec une bonne majorité de ses premiers compagnons. Il choisit donc de se contenter d'un simple changement de Premier ministre et fait reconduire la presque totalité de l'équipe Yonli. Un membre de la famille Compaoré, recevant une ministre évincée, venue demander qu'on intercède en sa faveur, s'était entendu dire alors : "le président n'écoute pas la famille…".
Mais l'épisode de la nomination de Tertius aurait définitivement scellé le divorce entre le président et Salif Diallo. En septembre 2007, à l'occasion de la visite officielle du président à Taiwan, on sentait que le ministre d'Etat "flottait" littéralement dans la délégation. Il était évidemment avec le ministre Djibril Bassolet, les plus proches du président. Mais les habitués auront remarqué qu'il n'y avait plus de complicité entre Salif Diallo et Blaise Compaoré.

La raison du pouvoir
a fini par avoir raison…

Dans une interview que Salif Diallo avait accordée à L'Evénement (n°91 du 25 mai 2006), juste après les municipales d'avril 2006, il mettait en opposition, pour parler de ses rapports avec Blaise Compaoré, les relations de camaraderie et "les acoquinements des courtisans". Il disait justement qu'entre lui et le président, c'était des relations de "camarades", alors que les autres en courtisans, étaient en train de faire "un véritable tort au pays". Il disait des courtisans qu'"ils n'aiment pas le pays ".
A la lecture des propos de Salif Diallo, on se rend compte que progressivement, la gestion du pouvoir a fini par diviser ces deux inconditionnels. Blaise Compaoré, camarade au départ incontestablement, a fini par se laisser gagner par le virus pernicieux des "pouvoirs sans fin". Dès lors, les logiques de gestion et de considération de l'action quotidienne à la tête de l'Etat changent. Salif Diallo n'a jamais laissé entendre qu'il travaillait pour l'alternance. Bien au contraire, dans sa récente interview à la RNB (radio nationale du Burkina), à l'occasion de la Journée des paysans, il a expliqué combien il avait contribué à émasculer progressivement l'opposition. Mais il est peu évident qu'il l'ait fait dans la logique de " monarchiser " le système qu'il avait contribué à mettre en place. Salif Diallo avait vraisemblablement une logique plus politique et plus militante dans sa gestion de la chose publique. C'est ainsi qu'en septembre 2006, alors qu'une fronde populaire s'oppose à l'imposition du port du casque pour les motocyclistes, il convoquait littéralement le ministre des Enseignements pour le sommer de mettre en œuvre la subvention aux écoles privées, et en même temps, se dépêchait de rencontrer le président pour lui expliquer les enjeux autour du port obligatoire des casques et de la situation que cela créait en se juxtaposant avec l'augmentation de la scolarité au secondaire. Alors qu'on a entendu, à l'époque, comment des proches du président étaient soupçonnés de vouloir insidieusement, par cette mesure aussi brusque qu'incompréhensible, liquider un stock de casques. C'était du reste l'information qui avait mis le feu aux poudres.
Il y a eu donc distension des liens entre Salif Diallo et le président dont l'entourage familial est progressivement devenu assez prégnante dans la conduite des affaires de l'Etat. La belle mère nationale, Alizeta Gando, ne décolérait plus contre Salif Diallo, qu'elle accuse d'être celui-là qui a divulgué à la presse, depuis Norbert Zongo, l'affaire David Ouédraogo et par la suite les détails sur l'assassinat de Norbert Zongo.
Leur opposition va prendre des tournures épiques avec la lutte de leadership politique au Zandoma. Les " Gando " n'ont pas pu vaincre Salif Diallo sur le terrain. Mais ils peuvent tout de même se réjouir aujourd'hui d'avoir eu raison de lui.

 

NAB


Ce que François a dit de Salif
Q : Qui est-il ? La main sur le visage, il répond : C'est quelqu'un qui s'adapte. Qui est politiquement engagé et qui aime ce qu'il fait. Avec lui, on a pu engager des projets avec des bailleurs de fonds. Q : Ses qualités ? Deux : il est travailleur et fidèle. Quoiqu'en matière de politique, je mets des garde-fous. C'est comme Chirac et Sarko. Il a un tempérament de fonceur. Il ne faut pas jouer à ça dans les dossiers. Il faut mûrir les choses avant. Il est trop direct. Q : C'est un concurrent ? Il porte le doigt sur son menton. " Nous sommes dans un pays démocratique qui a ses institutions. Salif pense que mes arguments ne sont pas les siens. Je suis borné. Je n'aime pas que les projets soient faits sans des dossiers d'étude. C'est un exemple qui me sépare de Salif. Lui fonctionne avec des projets spectaculaires et de propagande."

" Ces propos sont contenus dans un ouvrage qui paraîtra bientôt sous le titre : "Les Seigneurs masqués".



03/04/2008
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