A qui le tour ?

Parce que nous suivons ce dossier avec attention, nous savions et avions écrit que les jours de Marcel étaient comptés. Depuis le début, il ne devrait pas vivre. Vous pourrez vous en rendre compte en parcourant le courrier que lui-même avait cru bon d'adresser, de ses propres mains, au président Blaise Compaoré et à son frère François Compaoré. Il avait le pressentiment, et l'exprime dans son courrier, que les deux frères n'étaient pas tranquilles et qu'il fallait les rassurer. Mais au fond, qu'est-ce qui peut vraiment rassurer en de pareilles circonstances, si ce n'est la mort ? Le sort de Marcel Kafando avait été scellé dès le début de cette affaire, il ne restait plus qu'à gérer les modalités de sa disparition. Pour cela, un vrai encadrement a été mis en place et modulé en fonction de l'évolution de son état de santé.
En début 2001, sa santé s'est tellement aggravée qu'on ne lui donnait pas vraiment beaucoup à vivre. On a alors instruit le juge Wenceslas Ilboudo de l'inculper. En févier 2001, Marcel Kafando était effectivement inculpé, dans l'affaire Norbert Zongo. L'ordonnance qui l'inculpe ne retient pas le témoignage de Racine Yaméogo, comme extraordi-nairement important. Le juge d'instruction que nous avons rencontré en son temps explique "avoir simplement exploité le rapport de la commission d'enquête indépendante". "Pourquoi alors laisser les autres "suspects sérieux" en liberté ?", avions-nous demandé. "Parce que, explique le juge Ilboudo, avec l'inculpation de Marcel, remonter aux autres suspects devenait en quelque sorte un jeu d'enfant."
Il n'ira pas plus loin. Marcel Kafando inculpé, on attendait que la mort fasse son œuvre. Le juge lui-même a arrêté toute procédure. Dans l'entrevue qui a suivi son inculpation, Marcel lui aurait tenu à peu près ces propos : "Si je vais mieux, je vais demander l'autorisation et nous allons boucler cette affaire en très peu de temps". Le juge Ilboudo lui rétorque qu'il n'a pas besoin de se déplacer. Il suffit qu'il dise qui il veut qu'on fasse venir et ce sera fait. Réponse de Kafando : "Il ne faut pas te mêler de ça. C'est une affaire entre militaires". Le juge embraye et lui demande s'il s'agit donc d'une affaire entre militaires. Réponse de Marcel : "J'ai besoin d'une autorisation militaire, sinon ce sont des civils qui ont fait ça".
Et la santé de Marcel de se détériorer inexorablement. En mai 2002, le juge Wenceslas est convaincu que "sa situation est irréversible. Physiquement, il ne présente plus bien vraiment, mais il reste lucide". Il ajoute cependant, que "le type a la peau dure". En novembre 2002, le juge explique qu' "on a failli perdre Marcel. Il a été admis à l'hôpital (clinique du Centre) dans un état désespéré. On vient de m'informer qu'il délirait et qu'il était bon que je vienne écouter (…) On me dit qu'il répétait inlassablement que "les gens sont ingrats. J'ai tout fait pour eux et voilà maintenant qu'ils m'abandonnent à mon sort"".
Et puis Marcel Kafando qui refusait de se soumettre à la trithérapie, estimant qu'"avec cette maladie, mieux valait en finir vite", a commencé à se soigner et à aller mieux.
La mort refusait donc d'être complice d'une entreprise conclue d'avance. Marcel Kafando commence à aller mieux. Il rejoint les groupes de prière, pour confier son sort à Dieu, mais n'oublie quand même pas ce qu'il disait dans ses délires : "les gens sont ingrats". Ceux qui sont à la manœuvre ont été alors contraints de trouver la parade. En définitive, en juillet 2008, on se résout à se " délivrer" de Marcel Kafando avec un "non lieu" de la justice. Dès lors, Marcel avait été "désamorcé". Il pouvait prendre le temps de mourir. Désormais, c'est lui qui avait besoin qu'on ne l'abandonne pas et il savait ce qu'il devait faire pour cela. Le silence contre le minimum pour survivre. Les autres "suspects sérieux" vivants sont contraints de vivre ainsi et peut-être aussi de mourir ainsi.
NAB



20/01/2010
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