Rwanda ; quatre ministres menacent les medias privés

Quatre ministres tiennent des propos très inquiétants pour la presse indépendante lors d’une émission radiotélévisée

Reporters sans frontières est très préoccupée par l’avenir des journalistes indépendants rwandais, après la diffusion par les médias publics, le 9 septembre 2007, d’une émission au cours de laquelle quatre ministres, un haut fonctionnaire et deux membres des forces de sécurité ont tenu des propos très inquiétants pour la liberté de la presse dans le pays.

"Les propos violents tenus par ces hauts responsables de l’Etat rwandais sont une menace claire adressée aux publications indociles de Kigali. Cette séance d’intimidation prouve que les journalistes indépendants ont eu raison de dénoncer inlassablement l’hostilité du gouvernement à leur égard, en dépit du déni des autorités. Plutôt que de se dire prêtes à punir sévèrement la presse, les autorités rwandaises devraient réfléchir à une manière de vivre en bonne intelligence avec elle", a déclaré l’organisation.

L’émission "Kubaza bitera kumenya" ("Demander permet de savoir") diffusée le 9 septembre par la station publique Radio Rwanda et la chaîne publique Télévision rwandaise (TVR) était consacrée à "La sécurité, la justice, l’économie et les médias vis-à-vis du bien-être de la population". Les invités étaient le ministre de l’Information, Laurent Nkusi, le ministre de l’Intérieur, Sheikh Musa Fazil Harelimana, le ministre de la Justice, Tharcisse Karugarama, le ministre des Finances, James Musoni, le secrétaire général du ministère de l’Administration locale, Eugène Balikana, le porte-parole de l’armée, le major Jules Rutaremara, et le porte-parole de la police, l’inspecteur-chef Willy Marcel Higiro.

Le ministre de l’Intérieur a annoncé que le gouvernement allait prendre des "mesures" contre les journalistes qui cherchent à "renverser" le gouvernement. Selon lui, les forces de police doivent arrêter tout journaliste ayant publié un document officiel, jusqu’à ce que celui-ci divulgue sa source, qui sera à son tour châtiée. Il s’agissait d’une claire allusion à l’hebdomadaire privé Umuseso, qui a récemment publié un document classifié du ministère de la Défense.

Le ministre des Finances, de son côté, a accusé la presse indépendante de collaborer avec les "forces négatives", ajoutant que "les services de sécurité avaient découvert que certains journalistes sont payés par les pays qui s’opposent à notre gouvernement". Cette affirmation a été approuvée par le porte-parole de l’armée, selon lequel les médias critiques aidaient les ennemis du pays et devaient par conséquent être considérés comme faisant partie des "nombreuses forces négatives".

Laurent Nkusi, le ministre de l’Information, a pour sa part souligné les "fautes" de trois récentes éditions d’Umuseso, dont le numéro 291, dans lequel un article était intitulé "Des soldats désertent en raison des bas salaires", le numéro 292 détaillant les "dix erreurs que le président Paul Kagame commet souvent" et le numéro 293 listant "dix raisons pour lesquelles les Rwandais en ont assez du gouvernement de Paul Kagame". Le ministre a ajouté que les services de sécurité ne pouvaient pas rester silencieux face à ce type de comportement.

Le ministre des Finances, James Musoni, a ajouté que le chef de l’Etat "était respecté et honoré au niveau international grâce au progrès qu’il a fait faire au pays". "En vertu de quoi un journaliste rwandais peut-il se permettre de faire telle ou telle allégation à son sujet ?", s’est-il étonné. Sheikh Musa Harelimana a expliqué que le gouvernement appliquerait une loi adoptée sous le gouvernement du président Juvénal Habyarimana, en 1978, pour s’assurer que "la personnalité du Président sera respectée". Selon l’Agence rwandaise d’information (RNA, publique), cette loi identifie une insulte à la personne du chef de l’Etat à une insulte au pays lui-même.

Au cours de l’émission, un auditeur a remis en cause la nationalité rwandaise des trois directeurs de publication des principaux journaux indépendants de Kigali, Charles Kabonero, d’Umuseso, Bonaventure Bizumuremyi, d’Umuco, et Jean-Bosco Gasasira, d’Umuvugizi.

Interrogé par Reporters sans frontières, Charles Kabonero a fait part de sa grande inquiétude face à cette "campagne menée par quatre membres du gouvernement, un représentant de l’armée et un autre de la police". Le directeur de publication d’Umuseso a annoncé qu’il allait suspendre temporairement la parution de son journal. Il a affirmé que le travail des journalistes devenait impossible, puisque leurs sources refuseront dorénavant de leur fournir des informations par peur des représailles. "Nous craignons pour notre vie. Lorsque des membres du gouvernement nous qualifient d’ennemis du pays, il s’agit d’un feu vert envoyé à ceux qui sont susceptibles de s’en prendre à nous, sous prétexte de protéger les intérêts du pays", a-t-il conclu. Rsf



22/01/2008
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