Russie : le maire qui veut rayer sa ville de la carte
Après avoir longtemps prospéré dans la
fabrication d'armements, à l'époque soviétique, la ville de Tchapaïevsk – dont
la nappe phréatique est imprégnée de substances chimiques – est devenue un
fléau pour la santé de ses habitants. Son maire propose une solution radicale,
rapporte la Nezavissimaïa Gazeta.
Nikolaï Malakhov, maire de Tchapaïevsk (dans la
région de Samara, sur la Volga), n'a pas hésité à proposer de raser la ville
qu'il dirige. C'est au cours d'une récente table ronde intitulée
"L'écologie dans la cité contemporaine, aspects socio-économiques et
politiques du règlement des problèmes écologiques", organisée par le
Centre de politique socio-conservatrice, qu'il a lancé cette idée. Pour lui, la
meilleure solution aux problèmes écologiques de Tchapaïevsk serait de reloger
les habitants ailleurs.
La ville a presque cent ans. Après la défaite de la Russie dans la guerre
contre le Japon [1905], c'est ici que fut construite la première usine de
trotoluène [un composant du TNT] du pays ; cette substance servait, entre
autres, à la fabrication de munitions. Après la révolution de 1917, les
villages ouvriers entourant l'usine furent réunis en une seule ville, baptisée
Tchapaïevsk en 1929 [du nom du héros de la guerre civile Vassili Tchapaïev,
mort au combat en 1919]. Par la suite, elle abrita une usine secrète de
substances toxiques militaires (ypérite, phosgène, etc.). Les anciens se
souviennent que l'ypérite était versée dans les obus à l'aide d'une théière et
que les produits toxiques étaient jetés tels quels dans les égouts. Après la
guerre, les diverses usines de la ville ont continué à produire des obus, des
mines, des explosifs, des armes chimiques, et le sol ainsi que la nappe
phréatique se sont imprégnés de dioxine et autres poisons.
A Tchapaïevsk, les taux de décès par tuberculose, cancer de la gorge, du foie
et des reins étaient trois fois plus élevés que dans le reste de la région. Ces
quinze dernières années, la population est passée de près de 100 000 habitants
à moins de 70 000. Ici, seuls 4 % des enfants sont en bonne santé. La situation
démographique, sociale et économique s'est encore aggravée au début des années
1990, quand les quatre usines d'armement qui constituaient la base de
l'économie locale n'ont plus eu de commandes de l'Etat. Elles ont alors été
contraintes de réduire énormément leur production. Depuis, Tchapaïevsk occupe
le premier rang de la région pour la consommation de drogue, la criminalité et
la misère.
En juillet 1996, le gouvernement russe a adopté un programme de réhabilitation
des sites contaminés et de protection de la santé de la population de
Tchapaïevsk. Ce programme s'étalait sur la période 1997-2010. En l'an
Début avril, plusieurs responsables politiques fédéraux sont venus de Moscou
pour participer à une table ronde consacrée aux problèmes écologiques de la
région. Lorsque le débat a abordé la situation catastrophique de Tchapaïevsk,
ce sont ces responsables nationaux qui ont poussé le maire à formuler une
réponse radicale. A la question "Ne serait-il pas mieux de faire carrément
disparaître la ville ?" Nikolaï Malakhov a rétorqué que ce serait la
solution idéale. A son sens, si Moscou pouvait débloquer les moyens nécessaires
pour procéder à un déplacement des habitants (la ville compte 580 immeubles),
cette solution serait tout à fait réalisable. Pour l'heure, la priorité serait
d'installer une usine de traitement de l'eau, pour la rendre potable, de
réhabiliter le site de l'usine chimique et de déménager les habitants des
quelques dizaines d'immeubles qui en sont le plus proches.
Oleg Mitvol, vice-responsable de l'Organisme national de protection de la
nature, a lui aussi évoqué la nécessité de vider Tchapaïevsk de ses habitants.
C'est à la région, a-t-il estimé, qu'il revient de s'atteler au problème, la
municipalité n'étant pas assez riche pour gérer seule cette situation. Or, en
2007, guère plus de 50 millions de roubles [1,35 million d'euros] d'aides ont
été réclamés par la région au budget fédéral, une somme dérisoire comparée aux
2 milliards de roubles [50 millions d'euros] qui seraient nécessaires pour
débuter le travail d'assainissement du site.
Repères
Un précédent remarquable d'abandon d'une ville par ses habitants est Pripiat,
en Ukraine. Construite au début des années 1970, à 3 kilomètres de la centrale
de Tchernobyl, pour le personnel et les familles, elle était l'une des cités
modèles de l'architecture soviétique. Les 50 000 habitants de la ville furent
évacués, ainsi que ceux de la centaine de villages voisins, à la suite de
l'explosion, en 1986, de l'un des réacteurs nucléaires. L'évacuation eut lieu
le 27 avril, le lendemain de la catastrophe. Dans l'urgence, presque tout fut
abandonné sur place. Quelque vingt ans après la catastrophe, les objets personnels
des anciens habitants de Pripiat sont toujours visibles dans les immeubles et
les rues de la cité fantôme.
Andreï Bondarenko et Alexandre Deriabine
Nezavissimaïa
Gazeta