La croix de Tertius
On l'a attendu. Il est venu et il n'a pas surpris. La déception qui a accompagné la publication du nouveau gouvernement est au diapason de la désaffection des Burkinabè pour ce régime dont ils n'attendent presque plus rien. Il restait un mince espoir que les promesses du nouveau Premier ministre Tertius Zongo de gouverner autrement prennent forme dans un exécutif plus formaté pour l'emploi. On sait depuis le 4 septembre à quoi s'en tenir. Il n'y a rien à attendre. Que Tertius porte alors sa croix !
A quoi a servi ce remaniement ? A pas grand-chose, pour ne pas paraître excessif. Un remaniement gouvernemental répond à des questions précises dont on ne trouve nulle part les réponses dans le présent acte. Le départ de Djbrill Bassolet du gouvernement allait de toute façon entraîner son remplacement et il y aurait donc eu un réajustement. Ce remaniement est-il juste pour remplacer un ministre parti ? Certainement, quand on voit la re-disposition opérée. Alain Yoda se retrouve aux Affaires étrangères en maintenant son grade de ministre d'Etat et il est remplacé à la Santé par Seydou Bouda que l'on disait autrefois proche de Salif Diallo.
Deux ministres quittent le gouvernement, Hypolite Lingani et Jean Baptiste Compaoré, sans que l'on ne comprenne en quoi ils ont été les moins méritants de l'équipe sortante. Par contre, d'autres ministres, dont le Premier ministre lui-même n'avait pas craint de critiquer publiquement les rendements, sont maintenus. On cherche en vain les résultats des politiques de suppression des droits de douane sur les produits de consommation de première nécessité. Là au moins, c'est du concret. Maintenant que la saison est prometteuse, que les premières récoltes de maïs sont largement satisfaisantes, la faim recule dans nos compagnes et dans nos bidons villes, mais cela ne doit rien à l'action gouvernementale. A moins que l'idolâtrie n'ait atteint un niveau comparable à ce qu'elle était sous Mobutu au point de croire que cette relative bonne campagne de pluies, nous la devons à " Papa Blaise ".
Pour en revenir à notre sujet, un remaniement répond à des soucis précis en rapport avec les préoccupations des citoyens. Quand Tertius est arrivé à la tête du gouvernement, il a inscrit son action dans la lutte contre la corruption, une meilleure gestion des deniers publics et une certaine idée du service public. Un programme de gouvernement qui devait s'accompagner évidemment d'un exécutif taillé sur mesure. On ne peut pas par exemple donner l'impression de lutter contre le gaspillage des deniers et former un gouvernement de quarante ministres. Le gouvernement formé le 4 septembre dernier comporte justement 34 membres non compris le premier ministre, le président du Faso et le secrétaire général du gouvernement. En un mot, un gouvernement d'une bonne quarantaine de personnes. Quand on est soucieux d'une bonne gestion, on ne forme pas un gouvernement de cette ampleur. Trop de monde pour des résultats incertains d'autant plus que les deux tiers du gouvernement, ce sont des ministres hérités. Donc des ministres sur qui, en dehors des bons échanges de procédés, le Premier ministre n'a pas d'emprise.
A sa nomination en juin 2007, les querelles intestines au sein des mogho puissants du régime ne lui avaient pas permis de constituer l'équipe type qu'il projetait pour ses ambitions à la tête du gouvernement. Une année après, il faut croire que les mêmes pesanteurs prévalent, même si depuis l'éclipse de Salif Diallo, on ne sait plus qui en face incarne la résistance aux ambitions de François Compaoré, le frère cadet du président. Nous avions pronostiqué son entrée dans le gouvernement, précisément au poste de ministre de l'Agriculture. Il n'en a rien été finalement. Que s'est-il passé entre-temps ? L'explication est difficile, mais le dessein de cette éventuelle promotion reste inchangé.
Il y a d'abord la question de l'avenir immédiat du régime. Le président lui-même ne l'envisage pas dans le cadre des institutions normales de la démocratie si non, il a eu tout le temps de le favoriser et de le laisser se réaliser. Il est convaincu qu'il doit lui-même assurer ses arrières. La personne qui serait la mieux indiquée pour jouer ce rôle reste François Compaoré. Maintenant quand est-ce qu'il faut le mettre en scène ? C'est là toute la problématique. Le bon timing, en politique, serait pas trop tard, pas trop tôt.
Le gouvernement qui est actuellement formé devrait conduire le pays jusqu'à la présidentielle de 2010. Sauf imprévu évidemment. Blaise Compaoré est trop attaché à sa tranquillité pour prendre le risque des chamboulements à tout vent. On peut donc croire en rapport avec cette échéance électorale que le président se succédera à lui-même. Il faudra donc attendre après 2010 pour que s'ouvrent les joutes de succession.
Le mouvement créé en vue de cet avènement ne semble pas totalement prêt. Pis, il s'est vu envahir par tous les mauvais types qui avaient flairé que le CDP n'était plus un parapluie sûr. Très vite donc,
Au total, ce remaniement ne manquera pas d'amoindrir l'autorité du Premier ministre. On attendait en effet, qu'il confirme qu'il avait le soutien ferme du président pour conduire une politique hardie pour le changement, il se retrouve à faire comme son prédécesseur, à "gérer l'existant". Cet acte manqué, conjugué avec les attentes immenses non satisfaites avec la composition de l'Autorité supérieure de contrôle de l'Etat (ASCE), une structure devenue un réceptacle des magistrats à la réputation douteuse, a entamé quelque part l'estime dont jouissait Tertius Zongo au sein des populations. Avec ce remaniement, nous sommes revenus au temps ancien des gouvernements de Blaise Compaoré. Des hommes au service du président.
Pourquoi le changement n'a pas eu lieu ?
Le renouvellement dans les équipes gouvernementales ne doit pas être un simple rituel visant à rompre une certaine monotonie. Il doit viser à répondre à une attente sociale, celle d'une impulsion plus vigoureuse en vue d'un changement qualitatif. Il faut dire que l'arrivée de Tertius et surtout ses premières mesures ont certainement créé le sentiment que le changement pouvait enfin avoir lieu. Certes, les conditions dans lesquelles son premier gouvernement avait été formé ne lui avaient pas laissé une marge de manœuvre suffisante pour opérer des choix personnels. Mais pouvait-il en être autrement ? Il est longtemps resté loin du pays et les progrès dans les techniques de communication ne pouvaient suffire à résorber ce handicap. Il était donc normal que ce premier gouvernement soit largement inspiré par des locaux, en l'occurrence par les caciques du CDP. Salif Diallo était justement l'homme qui symbolisait le CDP et qui ferraillait pour que le gouvernement ait une coloration plus militante. Naturellement, cette option était dangereuse pour Tertius dont le passé militant manquait de relief. Le gouvernement Tertius I n'a donc pas été celui dont rêvaient les caciques, mais pour autant, ce dernier ne semblait pas tout à fait satisfait. La présence de Salif Diallo restait trop pesante. Blaise Compaoré l'a compris et l'a retiré. Dès lors, on pensait que la voie était ouverte pour Tertius pour recomposer une équipe gouvernementale plus conforme à ses ambitions de changement. Si celles-ci devaient passer par des hommes nouveaux, alors c'est raté. Il faudrait donc attendre le prochain coup. Mais à force de repousser l'échéance, Tertius lui-même prend le risque de se voir confondu dans le décor. Mais à la vérité, si le changement attendu n'a pas eu lieu, c'est sans doute parce que Blaise lui-même ne l'a pas encore décidé. A deux ans du renouvellement de son mandat, il n'est pas sûr que les stratégies et les tactiques soient au point. Le CDP qui apparaissait comme le rempart de son pouvoir a été fortement ébranlé par les coups de boutoir d'éléments se réclamant du grand boss. A la veille de l'ouverture de sa convention, la question qui se pose pour ce parti, c'est véritablement comment exister dans des conditions d'une adversité aussi feutrée que résolue. Pour Blaise Compaoré, l'équation CDP est toujours posée tant qu'il n'aura pas réuni toutes les garanties pour la réussite de son rêve monarchique. Certes,
Tout compte fait, on se retrouve avec un gouvernement pas très marqué politiquement certes, mais qui n'a pas non plus un profil technique particulièrement pointu. Tertius devra dans ces conditions se préparer à des interventions personnelles dans nombre de secteurs ministériels, s'il tient à engranger quelques résultats. Si ce n'est pas un piège, cela y ressemble.