Royaume-Uni : L'Eglise anglicane veut-elle vraiment la charia ?
L'archevêque
de Canterbury a créé une polémique en affirmant qu'il était
"inévitable" que la Grande-Bretagne adopte certains aspects de la loi
islamique. Peut-être a-t-il été mal compris, analyse The Independent.
L'archevêque
de Canterbury, Rowan Williams, n'aime pas qu'on dise de lui qu'il est
l'équivalent du pape pour l'Eglise anglicane. Il a pourtant fait avec la charia
la même erreur que Benoît XVI avait faite il y a deux ans, à l'université de
Ratisbonne, avec sa malheureuse incursion sur le sujet de l'islam qui avait
provoqué un tollé dans le monde entier, ainsi que la mort d'une religieuse et
bien d'autres choses encore.
Le chef d'une grande Eglise ne jouit plus de la même liberté intellectuelle que
lorsqu'il n'était qu'un théologien de premier plan. La sémiotique n'est tout
simplement pas la même. Un spécialiste peut appeler à une révision nuancée du
comportement de la société vis-à-vis des règles internes d'une communauté religieuse.
Mais quand c'est l'archevêque de Canterbury qui le fait, les journaux titrent
immanquablement : "L'archevêque pense que le Royaume-Uni doit adopter la
charia".
C'est ce qu'il a dit, mais pas seulement. Les médias n'ont guère de place pour
rendre compte de toutes les subtilités entourant ce genre de questions
délicates. Tout chef religieux perspicace devrait savoir ça, tout du moins son
attaché de presse. Le problème, c'est ce que l'on entend par
"charia". La plupart d'entre nous avons des idées bien arrêtées sur
la question. La charia se rapporte aux lapidations des femmes adultères (même
quand elles ont été violées) et aux amputations des mains pour les voleurs.
C'est ce que font les Saoudiens et les talibans.
Pourtant, avance le Dr Williams, cela n'est qu'une déformation de la réalité.
La charia – et la plupart des spécialistes musulmans sont d'accord avec lui –
n'est pas un ensemble de lois mais une façon de penser reflétant les principes
universels de l'islam. Les interprétations et les codifications de ces
principes par les Saoudiens, les talibans – ou qui que ce soit – sont
nécessairement réductrices et donc erronées. "Une interprétation par trop
limitée de la charia en tant qu'ensemble de règles codifiées peut en réalité
aller à l'encontre des valeurs universelles défendues dans le Coran",
selon les déclarations in extenso de l'archevêque, sur lesquelles se sont
fondés les journaux.
Tout ce que Williams veut dire, c'est que nous avons tous de multiples
identités. On peut être à la fois citoyen britannique, conservateur, musulman
et membre d'un club de golf local. Chacune de ses identités comporte son lot de
règles, et il est grand temps pour la société britannique de tenir compte de
cette réalité au lieu de s'accrocher à un "gouvernement laïque possédant
un monopole sur la définition des identités publiques et politiques".
Ainsi, comme tout club de golf ou parti politique peut expulser un membre qui
ne respecte pas ses règles, une communauté religieuse a le droit d'établir un
code pour régler les querelles financières ou conjugales de ses membres. L'Etat
devrait reconnaître ce droit, ainsi qu'il l'a déjà fait avec les juifs
orthodoxes, sans pour autant supprimer le droit de tout citoyen de faire appel
aux tribunaux [séculiers]. Tout le monde, à l'exception des islamistes
"primaires", accepterait ceux-ci comme des instances de rang
supérieur. Voilà, je pense, le message que voulait faire passer l'archevêque
dans son discours particulièrement dense de 7 000 mots.
Mais la plupart des gens n'ont pas pris la peine de le lire dans le détail.
C'est pourquoi les conservateurs ont qualifié cette intervention
d'"intempestive" et que les libéraux-démocrates ont rappelé que tous
les citoyens étaient égaux devant la loi. Et le secrétaire d'Etat à l'Intérieur,
Tony McNulty, a également fait ce commentaire : "Je pense qu'il serait
fondamentalement malvenu de nous demander de modifier radicalement notre loi
pour adopter la charia."
A tous ceux-là, l'archevêque pourrait répondre que leur indignation porte sur
des propos déformés, et pas sur ce qu'il a réellement dit. Il aurait raison.
Mais, dans un monde où la perception est tout, il est capital pour le chef de
l'Eglise anglicane de ne pas créer de telles sources de malentendu.
Paul Vallely
The
Independent