Sarkozy, héros d'un jour en Normandie

Pourquoi avoir choisi Ouistreham, une plage du débarquement, pour commémorer le 8 mai 1945 ? Pour rompre avec la tradition, soupçonne The Independent, mais aussi pour redonner courage et bravoure à des Français déprimés.

Le président Nicolas Sarkozy s'apprête à envahir la Normandie. Du moins si le temps le permet. La commémoration de la victoire de la France sur l'Allemagne le 8 mai 1945 (avec l'aide de quelques Américains, Anglais et Canadiens) ne se fera pas sous l'Arc de triomphe, à Paris, comme l'exige la tradition. Au lieu de cela, Nicolas Sarkozy présidera jeudi une cérémonie sophistiquée et coûteuse dans la petite ville d'Ouistreham, au nord de Caen.

Le gouvernement français au grand complet ou presque, les ambassadeurs des pays alliés et des centaines d'anciens combattants parcourront les 200 kilomètres qui séparent la capitale de la Basse-Normandie dans des avions et un train spécialement affrétés pour l'occasion. On a dû construire des plate-formes d'observation et un escalier. La plage a été passée au crible au cas où l'une des 2 millions de mines posées par le général Erwin Rommel il y a soixante-quatre ans aurait échappé à plusieurs générations de vacanciers.

Pourquoi Ouistreham ? C'est la ville la plus à l'est du secteur du débarquement. Sa plage faisait partie de Sword Beach, où 28 845 soldats britanniques ont abordé le 6 juin 1944. Le jour J, 156 000 hommes au total envoyés par les armées alliées ont débarqué en France.

Le président Sarkozy va certes rendre un hommage vibrant au sacrifice des soldats américains, britanniques et canadiens, mais cela n'explique pourquoi Ouistreham a été choisi pour accueillir la première commémoration officielle du 8 mai hors de la capitale. Pourquoi n'a-t-on pas opté pour la plage où a coulé le plus de sang, Omaha ? Ou pour Courseulles, où le général de Gaulle a enfin foulé le sol de la métropole le 14 juin 1944 ?

L'explication est simple : sur les 156 000 soldats du jour J, 177 étaient français, autrement dit 0,11 %. Et ils ont débarqué… à Ouistreham précisément. C'était un petit détachement de fusiliers marins sous les ordres de Philippe Kieffer, qui a ensuite réussi à prendre le blockhaus du casino. En déblayant le terrain, ils ont permis aux Anglais d'avancer vers l'intérieur du pays et de prêter main-forte aux soldats arrivés en planeur qui avaient pris Pegasus Bridge (le pont de Bénouville) quelques kilomètres plus au sud.

Il peut paraître étrange cependant que le président Sarkozy réquisitionne ces plages où des milliers de soldats alliés se sont battus pour rendre un hommage aussi élaboré et ostentatoire à un petit bataillon français. Apparemment, célébrer le 8 mai 1945 ailleurs qu'à Paris s'inscrit dans la volonté de Nicolas Sarkozy de rompre avec "la tradition pour la tradition" et de faire les choses différemment de ses prédécesseurs. Très bien.

En fait, en attirant l'attention sur une action française, modeste certes mais héroïque et souvent oubliée, le président Sarkozy poursuit une autre idée. Car il ne veut pas seulement réformer le gouvernement français, il veut aussi mettre fin au défaitisme et à l'introspection, et refaire de la France un pays fier et dynamique. Mais l'héroïsme a ses limites. Et si les prévisions météo pour jeudi sont mauvaises, la cérémonie sur la plage sera annulée et rapatriée sous l'Arc de triomphe.

John Lichfield
The Independent



19/05/2008
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