USA : une nouvelle ère commence
Pour le chroniqueur E.J. Dionne Jr., l'ère conservatrice est révolue, au profit d'une société paisible, multiraciale et partageuse.
La victoire écrasante de Barack Obama n'est pas simplement une réaction populaire à la crise économique ou un verdict condamnant un président impopulaire, même si le jugement rendu sur George W. Bush est important. En choisissant Obama et un Congrès majoritairement démocrate, le pays a définitivement mis fin à une ère conservatrice fondée sur trois mythes : qu'un parti pouvait gouverner avec succès tout en dénigrant constamment le rôle du gouvernement ; que les Américains étaient divisés dans un conflit moral irrépressible opposant la "vraie Amérique" à quelque pâle imitation ; et que le capitalisme pouvait réussir sans l'intervention d'un gouvernement actif pour le réguler dans l'intérêt public et redistribuer raisonnablement les profits afin de réduire les inégalités.
John McCain croyait qu'il pouvait gagner en accusant Obama d'être un "socialiste" qui avait promis de "distribuer les richesses". Mais une grande majorité de gens veulent bien distribuer les richesses si cela signifie des soins de santé, des retraites et une éducation supérieure pour tous, ou demander aux plus riches d'assumer une part un tout petit peu plus grande du fardeau fiscal.
"John McCain appelle ça du socialisme", a déclaré Obama lors d'un meeting à Pittsburgh la semaine dernière. "Moi, j'appelle ça l'égalité des chances." Les électeurs lui ont donné raison.
Depuis les années Nixon, les conservateurs disent s'exprimer au nom de la "majorité silencieuse". Obama représente la majorité de l'avenir. La majorité d'un pays dynamique, de plus en plus à l'aise avec sa diversité, en phase avec l'optimisme d'une jeunesse qui regarde vers l'avenir. Elle comprend de nouveaux électeurs des banlieues aisées et de l'exurbia [de grandes banlieues résidentielles] dont les priorités sont résolument pratiques – emplois, écoles, transports – et qui n'apprécient pas les querelles hargneuses à propos du mariage gay, de l'avortement et de l'intégrisme religieux.
C'est la majorité d'un pays modéré sur les questions de société, qui s'est reconnu dans le discours d'Obama sur l'importance des pères actifs, des familles unies et de la responsabilité individuelle. Obama a appelé à une réduction de l'avortement, et non à son interdiction. Il a mis en avant le rôle de la foi dans la vie publique, mais il a rejeté la marginalisation des minorités religieuses et des incroyants. Pour une grande partie du monde, son deuxième prénom [Hussein] sera tout un symbole, la preuve de l'attachement des Etats-Unis au pluralisme religieux.
Non content d'avoir fait sauter la dernière grande barrière raciale, Obama a parlé de la race comme aucun politique ne l'avait fait avant lui. Il a su comme personne envisager la question raciale des deux points de vue – celui des Blancs et celui des Noirs –, tout en assumant pleinement son identité noire. Il n'est pas postracial. Il est multiracial : ce terme non seulement le définit en tant qu'individu, mais il caractérise aussi la large coalition qu'il a constituée et le pays qu'il va diriger.
La tâche qui attend Obama promet d'être écrasante : il a beau avoir des talents politiques exceptionnels, sa marge de manœuvre sera réduite. Mais la crise lui donne aussi l'occasion, comme peu de présidents l'ont eue avant lui, de faire évoluer les mentalités de ses concitoyens, de renouveler le débat et de changer la vie politique américaine.
The Washington Post