Le départ sans surprise de Thabo Mbeki
Selon l'un des principaux quotidiens
sud-africains, la chute du président était prévisible. Sa gestion paranoïaque
du pouvoir l'a conduit à se faire de nombreux ennemis.
La crise qui a conduit au départ de Thabo
Mbeki avait été prophétisée par le président Nelson Mandela lors de la
conférence du Congrès national africain (ANC) en 1997. Dans son discours, il
avait évoqué les tensions et les difficultés que connaissaient l'ANC et ses
partenaires depuis 1994 [date de l'élection de Mandela comme premier président
sud-africain de l'après-apartheid]. Par la suite, il a exprimé ses
préoccupations à propos de l'exercice personnel du pouvoir par Thabo Mbeki.
"L'une des tentations auxquelles est soumis un dirigeant qui a été élu
sans rencontrer de résistance est d'en profiter pour régler ses comptes avec
ses détracteurs, les isoler, voire s'en débarrasser, et s'entourer de
béni-oui-oui. Le dirigeant doit préserver l'union, mais il ne peut y parvenir
s'il ne laisse pas les désaccords s'exprimer. Les gens doivent pouvoir
critiquer leur dirigeant sans crainte. C'est à cette seule condition qu'on peut
préserver l'union parmi les siens", a-t-il expliqué.
"Je sais que notre président est conscient de tout cela. Ce n'est pas le
genre d'homme à mettre qui que ce soit sur la touche", a-t-il ajouté sur
le ton ironique de "Brutus est un homme honorable". Il avait ainsi
publiquement évoqué les tendances paranoïaques de Mbeki, qui ont entraîné le brusque
départ de celui-ci après neuf années à la présidence du pays. La chute de Mbeki
a été provoquée par des gens qui étaient ses anciens camarades et pour lesquels
il n'a jamais eu beaucoup d'estime. Pour le patron des services secrets, Billy
Masetlha, c'était à la fois une ironie de l'histoire et une douce revanche de
pousser Gwede Mantashe, le secrétaire général de l'ANC, à annoncer le départ de
Mbeki. Ce dernier l'avait limogé à la suite d'une âpre querelle politique
suscitée par la bataille pour la présidence du parti. Les hommes d'affaires
Tokyo Sexwale et Cyril Ramaphosa, qui, avec Mathews Phosa, le trésorier du
parti, avaient été accusés de comploter contre Mbeki, ont compté parmi ses
détracteurs les plus impitoyables lors de la réunion du comité directeur de
l'ANC.
Par ailleurs, Mbeki, qui a passé la majeure partie de son temps depuis 1990 à
tenter d'éliminer son ancien parti, le Parti communiste sud-africain,
réussissant même à débaucher son président, Blade Nzimande, a été trahi par les
communistes – Nzimande lui-même, le secrétaire général du Congrès des syndicats
sud-africains (COSATU) Zwelinzima Vavi, et Mantashe – qui ont orchestré sa
chute.
Selon une source bien informée, par le caractère impitoyable et conspirateur de
ses actions, Mbeki s'est mis à dos des gens comme Thandi Modise, le secrétaire
général adjoint de l'ANC, qui n'est pourtant pas un sympathisant de Jacob Zuma
[nouveau dirigeant du parti et futur candidat de l'ANC à la présidentielle de
2009]. Modise a été fâché de ne pas obtenir de postes au sein du cabinet alors
que des femmes moins expérimentées que lui se voyaient accorder des ministères
dans le but de renforcer l'équilibre des sexes au sein du gouvernement. Le
chasseur s'est transformé en proie. A l'exception de quelques fidèles, Mbeki a
été le dirigeant le plus détesté dans son propre parti depuis l'éviction
d'Alfred Xuma au début des années 1950. Le plus gênant, pour l'ancien
président, est le fait qu'un jeune militant véhément comme Julius Malema, le
président de la Ligue des jeunes de l'ANC, ait réalisé son rêve de renverser le
président.
N'oublions pas que, en
Lorsqu'ils ont annoncé l'éviction de Mbeki, les dirigeants de l'ANC n'ont pas
caché qu'ils ne voulaient pas "gaspiller davantage d'énergie" sur
l'affaire Zuma. L'opposition a immédiatement accusé le parti au pouvoir de
chercher à mettre son dirigeant à l'abri de poursuites pénales. C'était un
moment poignant, même si beaucoup de gens au sein de l'ANC et en dehors
n'éprouvaient guère de sympathie pour Mbeki. Ces dernières années, pratiquement
tous les proches collaborateurs du président avaient fait les frais de sa
politique paranoïaque. Une situation qui a fini par se retourner contre lui.