Nigeria : l’ex-président Obasanjo dans le collimateur
Dix, douze, voire seize milliards de dollars ? Une commission d'enquête parlementaire nigériane passe au crible la politique énergétique de l'administration précédente d'Olusegun Obasanjo qui, malgré ces sommes astronomiques, n'a pratiquement pas fourni un kilowatt de plus au pays.
« Tout ceci ne sent pas très bon », confie à l'AFP un parlementaire proche du dossier. Car, au fur et à mesure que progresse la commission présidée par Ndudi Elumelu, le public découvre un nombre incroyable de dysfonctionnements au mieux, d'irrégularités au pire entre 1999 et 2007. Pêle-mêle, la commission a découvert qu'un contrat avait été attribué à une compagnie allemande figurant sur une liste noire de la Banque mondiale pour des pratiques douteuses dans d'autres pays africains, que 34 autres avaient été accordés à des sociétés non dûment enregistrées au Nigeria, que plusieurs milliards de dollars avaient été retirés d'un compte séquestre abondé par les revenus du pétrole, etc.
Mieux encore: jeudi, lors d'une déposition devant la commission d'enquête, deux hauts responsables des finances publiques fédérales, Hamman Tukur et Kabir Rabiu ont raconté sous serment comme l'ex-président Obasanjo avait inauguré un projet de centrale électrique à Odukpani dans l'Etat de Cross River, au sud du pays. Il n'y avait rien. « Je suis allé quelques temps après sur place avec un conseiller du gouverneur (de l'Etat). Il n'y avait que de la broussaille. Rien, même pas de route d'accès », a témoigné Kabir Rabiu dont les propos ont été largement répercutés par la presse.
« Sur la base de documents et des témoignages, il a été clairement établi que les sommes dépensées durant la période sous revue (1999-2007, les deux mandats présidentiels d'Obasanjo) se montent à 13,28 milliards de dollars », a déclaré jeudi M. Elumelu, qui n'exclut pas d'entendre l'ancien président et son numéro 2 Atiku Abubakar.
Le président de l'Assemblée nationale Dimedi Bankole a pour sa part chiffré à 16 milliards de dollars l'argent dépensé, en pure perte, pour tenter de produire de l'électricité. Plusieurs gouverneurs, le patron de la banque centrale CBN Charles Soludo, les ministres actuels des finances Shamsedin Usman et de la justice Michael Aondoakaa et de nombreux responsables financiers fédéraux ont déjà défilé à la barre de la commission d'enquête. Paradoxalement, le Nigeria, pays le plus peuplé d'Afrique et potentiellement un des plus riches (8e exportateur mondial de pétrole), est proportionnellement un des moins alimentés: 3.000 mégawatts pour plus de 140 millions de personnes, contre par exemple 38.500 mgw pour environ 45 millions de Sud-Africains.
Qui est responsable de ce gâchis? « Un peu difficile à dire », concédait gênée, début mars, la ministre de l'électricité Fatimah Ibrahim lors d'un entretien avec l'AFP. « Le gros problème, avait-elle ajoutée est que de nombreux projets n'ont jamais été terminés. De ce point de vue, le gouvernement est responsable pour ne pas avoir suivi ces projets jusqu'au bout ».
La commission d'enquête parlementaire n'a pu effectivement que constater que plusieurs sociétés contractées avaient empoché une grosse partie du contrat et que les centrales prévues ne sont jamais sorties de terre. Mais, alors que le nouveau président Umaru Yar'adua s'est faire élire en 2007 sur une image de "Monsieur Propre", certains craignent que le travail de la commission ne reste sans suite. « Il faut se féliciter de ces audiences publiques, mais le vrai défi est maintenant de traduire en justice les pillards présumés. Il ne faut pas que tous ces efforts soient cachés sous un tapis », écrivait cette semaine le quotidien d'opposition Punch. AFP