Régime Compaoré : Un système essoufflé de l'intérieur
Une gouvernance à la Houphouët. Le vieux bélier de Yamoussoukro aimait à dire qu'il ne faut pas demander à voir dans la bouche de celui qui grille des arachides. Autrement dit, il est normal que de temps en temps, celui qui grille des arachides s'en mette quelques graines dans la bouche.
Héritier putatif du vieux, dont il a épousé la nièce, Blaise Compaoré applique à la lettre cette maxime qui semblait lui réussir jusque là, même si le Burkina Faso n'est pas aussi bien gâté par la nature que la Côte d'Ivoire. Mais le principe produit apparemment partout les mêmes effets. Jeter "l'os aux chiens " pour les détourner de la partie viandeuse de l'animal. En l'espèce ici, la partie viandeuse c'est le trône présidentiel. Qui n'a pas déjà entendu dire dans ce pays que "Blaise Compaoré accepte tout sauf qu'on lorgne son fauteuil ".
Ce type de régime organise la légitimité autour de la distribution de la richesse nationale. Dans nos pays où l'Etat reste encore et peut-être pour longtemps, le principal, voire l'unique pourvoyeur de tout, la richesse et l'ascension sociale, une habile régulation des récompenses et des sanctions permet au premier responsable du pays de tenir en laisse tout ce qui compte dans le pays. D'abord par la mise en "vitrine" de tous ceux qui "collaborent". Montrer l'avantage qu'il y a à être "acquis" en organisant, par le moyen des passe-droits, l'accès aux avantages induits. Un poste de responsabilité administrative et politique non mérité, l'abus des biens publics; argent, voiture et bons de carburant. Tout cela pour créer la différence entre le partisan et le non partisan.
Ensuite, l'enfer pour le non partisan. Lequel est acculé jusque dans ses derniers retranchements, soumis à toutes les vexations et brimé même dans ses droits les plus élémentaires. Ce type de régime ne construit pas une société du mérite. Il fait l'apologie de la soumission : "mange et tais toi" était le slogan accolé au parti présidentiel quand il s'appelait encore ODP/MT. Les deux dernières lettres du sigle ont été adroitement transformées en " mange et tais toi " pour décrire la pratique en vogue dans la mouvance présidentielle.
Le Burkina des affaires gère les affaires du Burkina
C'est Norbert Zongo qui avait eu cette phrase lumineuse pour décrire la collusion parfaite au sommet de l'Etat entre le monde politique et celui des affaires qui était entrain de se tisser sous nos yeux dès l'avènement du Front populaire. Il aurait dû vivre pour voir le parachèvement de cette imbrication qui a fini par soumettre l'Etat aux affaires. La proximité avec le premier cercle du pouvoir est la condition de la prospérité. Alizeta Gando, pour ne pas la nommer, est devenue multi milliardaire en moins d'une décennie, lorsqu'elle a su se lier à la famille présidentielle. Aussitôt et malgré le choix d'une économie libérale, le ministre du Commerce n'avait pas hésité à lui fabriquer un monopole exclusif sur les cuirs et peaux. Elle est aujourd'hui la seule vraie propriétaire du domaine foncier national, pour avoir racheté, pour une bouchée de pain, l'ex-société immobilière de l'Etat, la SOCOGIB. Il y a deux ans, elle réussissait la prouesse de fourguer pour plus d'un milliard de nos francs à la CNSS, un des terrains hérités de ce bradage de la SOCOGIB. Un terrain vendu trois fois son prix réel sur le marché. Mais la CNSS a payé sans rechigner. Au même moment, des centaines de dossiers de contentieux de pensionnaires pour quelques broutilles seulement, n'auront jamais la chance d'aboutir du vivant des requérants.
Cette dame qui bénéficie si généreusement de l'Etat, n'est pas forcément celle qui paie le mieux ses impôts. Plusieurs fois épinglée par le fisc, les scellés des services n'ont duré que le temps qu'elle prenne son téléphone et qu'elle alerte qui de droit. Parfois même, elle ne se donne pas toute cette peine. Son cas est sans doute le plus emblématique, mais elle n'est pas la seule. Toute cette myriade qui se réclame du titre d'hommes d'affaires, excepté le vieux Kanazoé, ne tiendrait pas un bon trimestre, si l'Etat leur retire sa mamelle. Cela ne risque bien entendu pas d'arriver puisque l'argent qu'ils amassent si facilement est réintroduit dans un circuit qui huile la collusion. Il y a quelque temps pour obtenir un marché public de trois milliards, il suffisait juste de lâcher 250 millions de francs CFA en dessous de table. Aujourd'hui, la vie chère est peut-être aussi passée par là, il faut concéder un milliard net. Un marché public obtenu dans ces conditions soustrait son bénéficiaire au paiement des taxes et impôts. En juin 2006, le directeur des Vérifications et des Enquêtes de la Direction générale des Impôts engage une action en justice contre les auteurs de faux en matière d'enregistrement. Le directeur explique que les missions d'enquêtes de ses services, sur une période qui court d'avril
Le Directeur des Vérifications poursuit en insistant que "en dépit de ces contrôles, qui ne peuvent cependant pas être exhaustifs, on note une poursuite du phénomène qui se manifeste par : l'utilisation de faux cachets des bureaux de l'enregistrement ; l'utilisation de fausses quittances ; l'imitation de signatures des receveurs ou d'agents commis aux tâches d'enregistrement.
Tout porte à croire qu'il existe une véritable organisation dont l'action est basée sur l'utilisation de quittanciers parallèles, ainsi que de faux cachets de la DGI…"
Pour ce qui est des pertes occasionnées par ce réseau de véritables faussaires organisés, le Directeur de la Vérification l'estime, pour la période d'avril à décembre 2005 "à plus de trois milliards de francs cfa". Au regard de l'ampleur des pertes sèches pour le Trésor public et en raison de la persistance du phénomène, le Directeur propose "qu'une suite judiciaire soit donnée à ce problème".
Cette suite judiciaire ne viendra pas. Le phénomène va se poursuivre de plus bel en 2006 et le même service va faire les mêmes constatations et va de nouveau écrire à sa hiérarchie pour solliciter que des poursuites judiciaires soient engagées en vain. Nous avons pu nous procurer la liste des indélicats faussaires. En 2005, ils étaient 115 entreprises. En 2006, les mêmes ou presque ont récidivé. Jusqu'à présent, aucune de ces entreprises n'a été poursuivie. L'Etat perd ainsi annuellement des dizaines de milliards de francs cfa.
La liste des fraudeurs est connue. Elle existe dans les bureaux des services des Impôts. Mais rien n'y fait.
Pourquoi cette impunité ? Tout simplement parce que c'est cet argent qui huile les rouages du système politique en place. Les belles villas, les belles voitures et la vie de châtelains, pour des gens qui n'ont rien hérité, il faut bien que l'argent vienne de quelque part. Qui sait par exemple comment est financé le vingtième anniversaire de "la renaissance démocratique" au Burkina Faso?
Est-il possible d'y mettre fin?
Les timides mesurettes de Tertius Zongo avaient pour objectif d'en réduire simplement l'ampleur. Elles ont provoqué un clash dans le système, donnant à voir le spectacle lamentable des clans du pouvoir qui s'entredéchirent violemment. En réalité, quand on a lu toute la littérature des journaux proches du pouvoir, sur les récents événements liés à la vie chère, on se rend facilement compte que c'est un système violent, qui l'a toujours été et qui le reste, et qui ne fait de quartier à personne. Pas même aux anciens camarades.
L'explication qui consisterait à mettre en avant une volonté de déstabiliser le Premier ministre Tertius Zongo serait à relativiser de notre point de vue. Il ne s'agirait pas, nous le pensons, de le viser directement, même si la continuation de cette épreuve de force va indubitablement le déstabiliser, mais plutôt de violentes réactions de survie des clans qui se sentent menacés dans leur survie et qui se soupçonnent mutuellement. Surtout qu'en plus de la sape des bases matérielles et financières, il y a aujourd'hui des raisons de s'inquiéter de la pérennité du système. Alors les clans s'affrontent violemment et vont continuer à le faire de plus en plus violemment à mesure que l'incertitude sur la survie du système lui-même se confirmera.
Par Newton Ahmed Barry