Qui dort dans la tombe de Sankara ?
C'est fait, le Comité justice pour Thomas Sankara a introduit auprès du tribunal de grande instance de Ouagadougou, le 16 octobre dernier, une requête afin d'expertiser le corps qui se trouve dans la tombe considérée, jusque là, comme étant celle de Sankara. La requête des ayants droits du défunt président vise à attester de façon irréfutable que c'est bien le corps de ce dernier qui y gît. Cette préoccupation n'est pas nouvelle, mais c'est la première fois que l'Etat burkinabè devra en répondre devant la justice.
Depuis le 15 Octobre 1987, la famille de Sankara a maintes fois exigé des preuves qui attestent que c'est effectivement Sankara qui dort dans sa prétendue tombe. Après le coup d'Etat qui a coûté la vie à l'ancien président, lui et douze de ses compagnons été enterrés nuitamment et précipitamment, selon de nombreux témoins, dans le cimetière du quartier périphérique Dagnöen de Ouagadougou. Ils auraient été enterrés dans des puisards creusés à la hâte par les prisonniers de la maison d'arrêt de Ouagadougou à la lumière des Jeeps de l'armée. Les corps ont été recouverts de monticule de terre sur lesquelles des bouts de papier, accrochés à des morceaux de bois, indiquaient l'identité de celui qui y gisait. La famille Sankara a toujours indiqué que c'était là des conditions qui ne permettaient pas de certifier l'identité des défunts.
Au lendemain du coup d'Etat, la veuve du président, Mariam Sankara, avait demandé, sans l'obtenir des nouvelles autorités du pays, la possibilité de donner une vraie sépulture à son époux. Les deux parents de Sankara (son père et sa mère) ont attendu, leur vie durant, le droit de s'acquitter du devoir de sépulture envers leur fils, sans jamais y parvenir.
Ayant épuisé toutes les voix de recours au Burkina Faso, les conseils de la famille Sankara avaient adressé une communication plainte au comité des droits de l'homme de l'ONU, en 2003, afin d'obtenir "la reconnaissance officielle du lieu de sa dépouille". En mars 2006, le comité de l'ONU a examiné cette plainte et dans ses constatations avait reconnu que "le refus d'indiquer officiellement le lieu de la dépouille de Sankara à sa famille constituait "un traitement inhumain à l'égard de Mme Sankara et de ses fils".
Le gouvernement a répondu officiellement à ces constatations de l'ONU en juin 2006 et s'est engagé " à prendre toutes les mesures pour donner une suite aux recommandations du comité des droits de l'homme". En droite ligne de ces engagements, le gouvernement légalise en quelque sorte, le lieu de sépulture déjà connu et qui accueille chaque 15 Octobre les célébrations des partisans de Sankara.
Une réponse qui ne satisfait pas les ayants droit de l'ancien président burkinabè qui affirment que d'un point de vue légal, c'est insuffisant. Il exige du gouvernement qu'il atteste que c'est bien Sankara qui a été inhumé dans cette tombe, autrement ce serait l'officialisation d'une voie de fait.
En saisissant la justice burkinabè, le comité international veut contraindre le gouvernement à procéder à l'exhumation du corps qui se trouve dans la tombe pour attester que c'est bien le corps de Sankara.
Saisi le 16 octobre, la justice burkinabè n'avait pas encore réagi.
Mais incontestablement, cette nouvelle procédure va embarrasser un peu plus le gouvernement burkinabè. Il ne peut pas ne pas y donner une suite favorable, parce qu'autrement, il persisterait dans la commission du crime "de traitement inhumain à l'égard de Mme Sankara et de ses fils", crime pour lequel il avait été épinglé par le comité des droits de l'homme de l'ONU.
Mais plus encombrant encore, cette procédure arrive au moment où dans la médiation en Guinée, le président Compaoré doit exiger de la junte de Dadis Camara de ne pas continuer à séquestrer les corps des victimes, comme l'en accusent les organisations des droits humains.
L'affaire Sankara, comme on le voit, ne finit pas d'empoisonner le règne de Blaise Compaoré. Les Burkinabè sont attentifs des réponses que la justice burkinabè réservera à cette requête. L'ancien président continue de bénéficier d'une réelle sympathie au sein de la population, malgré la détermination de ses tombeurs à le faire oublier. NAB