Les soldats mutins évoquent les raisons qui ont conduit à la bastonnade de Simon

Le 31 mars, entre 18h 30 et 20h, nous avons rencontré de jeunes soldats mutins, à la sortie de leurs échanges avec le chef de l'Etat au palais de Kosyam. Ils étaient environ une dizaine et viennent de différents corps de l'armée. Il y avait des éléments du camp Lamizana, l'épicentre de la mutinerie, des soldats du génie militaire, de la base aérienne et du régiment de la sécurité présidentielle. Ils étaient très enthousiastes à l'idée de s'exprimer car, selon eux, la presse préfère toujours donner la parole au commandement, ignorant qu'eux aussi ont un point de vue. Pour réparer ce qu'ils considèrent comme étant une injustice, nous leur avons donné l'occasion de s'exprimer. Ils livrent leur version des faits récents, à commencer par l'histoire qui a déclenché leur mouvement, les actes de pillage, l'incendie du domicile du chef d'état-major des armées et la "petite manœuvre" opérée sur le maire Simon Compaoré. Ils font également l'analyse de la situation qui prévaut dans l'armée depuis un certain nombre d'années. L'histoire de la femme du militaire et le procès

Selon les jeunes soldats, la femme de leur collègue a subi bel et bien un harcèlement sexuel de la part du jeune dessinateur en bâtiment. Celui-ci aurait entrainé la femme jusque dans les toilettes et aurait tenté de l'embrasser. "Vous qui êtes arrêté là, est-ce que vous acceptez que quelqu'un vienne chez vous faire la cour à votre femme ? Moi en tout cas, je ne vais pas accepter, même si c'est une pute qui vit avec moi. A partir du moment où elle est chez moi à la maison, personne n'a le droit de venir la draguer chez moi. Si c'est dehors, je peux comprendre, mais jamais chez moi.", déclare un soldat du génie militaire. Un de ses camarades du camp Lamizana abonde dans son sens?: " Si c'était moi Arzouma (le compagnon de la dame), j'allais le buter (Boulou, le jeune dessinateur). Je ne peux pas accepter qu'un inconnu vienne chez moi, obtienne de l'aide pour faire son travail et pour me remercier, il se permet de harceler ma femme. Ce n'est pas possible. Qui peut accepter ça ? " Tous partagent ce point de vue. Ils estiment même que leur camarade Arzouma a été très compréhensif, puisqu'il a laissé " le monsieur dragueur " sain et sauf.
Sur le procès, ils affirment que c'est le patron du jeune dessinateur qui a tout manigancé. Celui-ci aurait dit qu'il va tout faire pour que leurs camarades soient punis et radiés de l'armée. " Il a dit qu'il connait de grands types de ce pays. C'est pourquoi, il a payé les juges et les avocats pour les faire condamner, " confie un soldat du génie. Quelles preuves avez-vous pour avancer de telles déclarations en dehors de ce que vous ont raconté vos camarades militaires? Demandons-nous. Pour eux, la preuve, c'est le comportement des juges lors du procès et leur lourde sentence. " Pendant le procès, quand notre collègue voulait expliquer ce qui s'est réellement passé, les juges lui retiraient la parole. Lorsqu'il insistait pour donner les détails de la scène, les juges le menaçaient d'augmenter sa peine s'il continue. Donc on sentait déjà que les juges ne voulaient pas savoir la vérité. C'est normal puisque quelqu'un a payé pour que ce soit ainsi.", parole d'un élément de la base aérienne. Les jeunes soldats ont l'impression que l'histoire a été ficelée de bout en bout pour faire condamner leurs camarades. "On avait averti les juges qu'on accepterait pas un faux verdict. Ils ont cru qu'on plaisantait. Ils n'ont rien compris. Nous on risque nos vies lors des formations pour devenir militaires, lors des missions, on risque encore nos vies, quand on revient, on n'a pas grand-chose et puis encore on nous provoque en venant faire la cour à notre femme chez nous à la maison, la justice pourrie là se permet de les condamner tout en sachant que cela signifie leur radiation de l'armée?; et vous pensez qu'on va rester bras croisés?? Non, aujourd'hui, c'est eux, demain ça peut être nous.", éclate, tout furieux, un élément du camp Lamizana. Ils sont catégoriques sur le sort judiciaire de leurs camarades?: "Le président doit choisir entre la justice et l'armée. Nous n'accepterons jamais leur emprisonnement, n'en parlons pas leur radiation de l'armée. Si cela devait avoir lieu, le lendemain, on reconnaitrait plus Ouagadougou, on va tout raser." avertit celui qui semble être le plus gradé d'entre eux.

Le pillage des magasins et boutiques

Nos interlocuteurs plaident non coupables. "Ce n'est pas nous qui avons pillé, d'autres personnes ont profité de notre mouvement pour s'adonner au pillage.", affirme un des leurs. Les autres tentent d'expliquer davantage quand nous avons rappelé les différents témoignages parus dans la presse mettant en cause les militaires. Pour eux, une bonne partie des pillages n'est pas de leur fait. "Mon voisin m'a raconté qu'il a surpris son voisin d'en face en train de casser sa boutique. Il était armé. D'autres armes ont été découvertes dans certaines boutiques pillées, vous pensez qu'un militaire est fou pour laisser son arme comme ça sur ces lieux?", avance un autre. Un élément de la base aérienne se demande si c'est pensable que tout le matériel volé puisse se retrouver chez des militaires alors qu'à tout moment, on peut venir les contrôler à la maison. Néanmoins, ils reconnaissent leur responsabilité parce que n'eut été leur mouvement, cela ne serait pas arrivé.

Le saccage du domicile du chef d'état-major

Dans la nuit du 29 mars, une escouade de soldats a mis le feu au domicile du général de division Dominique Djindjeré aux environs de 1h du matin. Pourquoi un tel acte?? A cette question, ils ne sont pas nombreux à répondre. Deux soldats ont réagi. Le premier affirme que c'était pour signifier au chef leur mécontentement. L'autre affirme, lui, que depuis que le général est arrivé, il n'a résolu aucun problème de la troupe: "Chaque fois qu'on lui pose nos doléances, nous ne voyons rien venir, il les met dans les tiroirs. Le "petit geste" fait chez lui, c'était juste pour lui rappeler que sans nous, il n'est rien. C'est parce que nous sommes là que lui et les autres sont ce qu'ils sont et se permettre de manger ce qui nous revient?". Ils en veulent au chef d'état-major et à tout le commandement pour ne pas prêter beaucoup d'attention à leurs conditions de vie et de travail. "? Vous voyez comment on est habillé, est-ce que c'est joli? Depuis que je suis soldat, c'est moi qui achète ma tenue et mes chaussures de militaire avec ma maigre solde. Où part l'argent destiné à ça? C'est eux le commandement qui bouffe ça?", soutient un soldat du camp Lamizana. Nous interpellons deux soldats du Régiment présidentiel qui arborent pourtant des tenues impeccables. "Non, non, il n'y a pas beaucoup de différence entre nous du RSP et les autres. Nous vivons les mêmes problèmes.", affirme un d'entre eux. Les autres ne disent rien. Devant ce silence, le deuxième élément du RSP lâche? : "Nous sommes solidaires du mouvement parce que ce sont nos camarades, nous avons fait la même formation et même si aujourd'hui, on est ici au RSP, nous ne pouvons pas oublier qu'à tout moment, on peut nous affecter dans une autre unité."
Un élément de la base aérienne soutient que depuis qu'il est militaire (plus de 8 ans), c'est une seule fois qu'il a pu donner 3000 F à sa mère. "Quelle fierté peut-on tirer de cette vie si tu ne peux même pas aider ta maman alors que tu dis que tu travailles??" Ce dernier est marié et héberge son frère également. Ils dénoncent le délaissement dont ils seraient victimes. Les salaires sont très bas, ils n'ont pas d'indemnité de logement. Peu de mission et quand y en a, la hiérarchie coupe une grande partie des sommes qui leur revient. Un élément du génie militaire nous explique?: "Je reviens du Darfour, mais je n'ai même pas pu construire ma maison. Pourtant, sur le terrain, c'est nous les soldats qui sommes devant, prenant tous les risques. Nos chefs sont dans les bureaux climatisés devant des ordinateurs en train de jouer aux cartes ou regardant des images pornos et ce sont les mêmes qui coupent ce qui nous revient. Ils mangent notre dû. On ne va plus se laisser faire. Vous avez entendu ce qui s'est passé au Darfour avec le soldat et son supérieur?? La cause, c'est ce que je viens de vous expliquer. Parfois, tu te dis qu'il vaut mieux mourir que de subir ces injustices."

La bastonnade du maire Simon

"Moi je reviens du Darfour. Notre contingent a été déployé où aucun autre pays ne voulait aller, c'est-à-dire à 7 km de la frontière tchadienne. C'est le couloir de passage de beaucoup de rebelles des deux pays. C'est nous les Burkinabè qui avons réussi à sécuriser la zone. Nous avons construit en moins de 6 mois des routes, des ponts, des écoles. Tout le monde nous a félicités pour ça. Quand nous passons, les populations nous applaudissent. Les Nations unies nous ont félicités. Voilà qu'on revient au pays et on se fout de nous. D'abord, ce sont nos supérieurs qui coupent l'argent de notre mission. Après, c'est un maire qui monte des commerçants pour nous traiter de "militaires voleurs". Vous voyez que ça fait mal.", explique un élément du Génie militaire. Un autre explique que le maire a eu la vie sauve grâce à sa femme?: "Quand on le bastonnait, sa femme criait fort le nom de Jésus. Un de nos aînés a dit que vraiment, lui, il ne peut plus continuer la bastonnade. Il a supplié les autres d'arrêter aussi au nom de Jésus. C'est comme ça qu'on l'a laissé. On voulait juste lui dire qu'on n'insulte pas un militaire au hasard."
Beaucoup d'entre eux ont eu des mésaventures avec le maire de la capitale ou avec la police nationale. D'autres évoquent l'entêtement du maire à faire payer la taxe de développement communal (TDC). Ce sont toutes ces récriminations qui expliqueraient leur descente au domicile du maire. Ils disent qu'ils voulaient juste lui donner "une petite correction" pour qu'il cesse son "arrogance".
Idrissa Barry



18/04/2011
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