Morgan Tsvangirai, un rival à la hauteur
Assis dans un grand fauteuil à fleurs dans le jardin de sa maison de Harare, Morgan Tsvangirai ressemble davantage à un vieil oncle endormi qu’à un Lazare de la politique. La méchante cicatrice qu’il a sur le front et la lenteur de son discours sont les seuls signes qu’il s’est fait sévèrement tabasser par la police il y a un an. Avant cette agression, cet homme, affectueusement surnommé “deux joues” à cause de son large visage, semblait disparaître lentement de la scène politique. Devant son incapacité à provoquer une action de masse, on disait de lui qu’il était fini et on s’était tourné vers un rival plus jeune, Arthur Mutambara.
Morgan Tsvangirai nous reçoit aujourd’hui dans son jardin et évoque calmement la nécessité d’un changement constitutionnel et de nouvelles élections. Il porte un jugement édifiant sur les épreuves qu’il a subies. “Il n’y a pas de liberté sans sacrifice”, assure-t-il. Il est redevenu une personnalité reconnue sur la scène mondiale. Les sbires de M. Mugabe ont réussi à ressusciter le seul rival sérieux du camarade Bob. Il est jusqu’à présent le seul homme qui ait été capable de rappeler à Robert Mugabe sa fragilité politique. La première fois, c’était en 2000. Le président du Zimbabwe avait organisé précipitamment un référendum pour pouvoir solliciter deux mandats supplémentaires.
A la tête du Mouvement pour le changement démocratique (MDC), fondé avec des avocats, des chefs religieux et des associations de défense des droits de l’homme, il avait tenu tête à Mugabe, dont la mégalomanie croissante avait culminé dans une aventure militaire désastreuse en république démocratique du Congo. Le référendum s’était traduit par un “non” qui envoya une onde de choc dans l’élite. C’était la première fois que le régime subissait une défaite électorale – et la dernière qu’il laisserait aux seuls électeurs le soin de faire des choix démocratiques. L’événement fut suivi par une campagne d’occupation des terres des fermiers blancs et une politique raciste, ainsi que par deux élections truquées, la deuxième mettant aux prises pour la présidence M. Mugabe et l’homme qu’il appelait “le valet des Blancs”.
Après l’élection de 2002, Morgan Tsvangirai fut appelé “le président” par ses partisans, qui lui reconnaissaient la victoire que la commission électorale avait refusé de lui accorder. Accusé de trahison, il fut traduit en justice et finalement acquitté au terme d’un procès de deux ans. En 2005, le MDC s’est scindé en deux factions, la seconde étant dirigée par Arthur Mutambara. Cette scission aurait pu être fatale à Morgan Tsvangirai, mais les images télévisées le montrant à sa sortie de prison, sûr de lui malgré un traumatisme crânien, ont davantage fait pour restaurer sa crédibilité que n’importe quel discours. Son échec à parvenir à un accord avec la faction d’Arthur Mutambara a terni son retour héroïque, mais “deux joues” reste le seul homme que la plupart des gens du Zimbabwe voient un jour remplacer le camarade Bob.
The Independent