Passez votre bac, mais surtout pas de raffut

Les lycéens ont l’habitude de fêter bruyamment la fin de leurs études secondaires. Les parents et les pouvoirs publics tentent désormais de contenir les débordements qui accompagnent ces adieux à l’enfance.

Ce n’est un secret pour personne, les fêtes qui marquent la fin des études secondaires ne représentent plus depuis longtemps un ­émouvant adieu des élèves à leur enfance. Elles sont désormais l’occasion de beuveries de masse. Après les ­cérémonies officielles à l’école, les lycéens partent pour des virées ­fortement arrosées de bière, et parfois de vodka, qui dégénèrent en bagarres et autres incivilités.
De nombreuses régions de Russie tentent de lutter contre ce phénomène en interdisant l’alcool, les sorties en groupe, voire en demandant aux élèves et à leurs parents de signer des documents où il est précisé que l’alcool ne sera pas au centre de la soirée. Les résultats sont décevants. Tous les ans, des milliers de lycéens se retrouvent au commissariat et en salle de dégrisement. Or ils ont encore à passer la première épreuve du bac ! C’est ce qui pousse de plus en plus de régions à vouloir interdire complètement les cérémonies de fin de scolarité.
Cette tradition remonte loin, avant même la révolution de 1917. “A l’époque”, explique Sergueï ­Komkov, président de la Fondation russe pour l’éducation, “c’est un bal qui était organisé. C’est au cours de l’ère soviétique que ces cérémonies sont devenues un adieu solennel aux cours, le dernier jour de classe, tandis que la soirée d’obtention du bac marquait le départ définitif de l’école.”

“On va se saouler. On est adulte maintenant !”

Les parents sont les premiers à se plaindre. Dans certains établissements, les frais engendrés par les deux cérémonies successives (fin des cours et obtention du bac) peuvent atteindre 30 000 à 50 000 roubles [800 à 1 300 euros]. En outre, chaque soirée exige une tenue de circonstance. “Je crains que tout cela ne plonge notre famille dans une grave crise financière”, avoue Gleb Vorobiov, père d’une élève de terminale.
Devant le lycée d’enseignement général n° 380, à Moscou, nous avons interrogé une bande de quatre copains. A la question “Comment comptez-vous célébrer la fin des cours ?” ils ont scandé en chœur et sans se concerter : “Ivres morts ! Ivres morts !” Non loin, quelques jeunes filles ont fait part de leurs projets pour le soir du 24 mai : “S’il fait beau, nous irons faire la fête à Sokolniki [grand parc dans le nord-est de Moscou]. Sinon, on restera dans le lycée. Mais, de toute façon, on va se saouler. Forcément ! On est adulte, maintenant !”

Des lycéens se sont engagés par écrit à ne pas boire

Depuis plusieurs années, sur le terrain, les pouvoirs publics tentent de contrecarrer ces ambitions. Ainsi, à Ekaterinbourg, les fêtes pour l’obtention du bac n’ont plus lieu : la municipalité a jugé que nettoyer et réparer les dégâts dans les rues le lendemain matin lui revenait trop cher. L’an dernier, à Oulianovsk, on a demandé aux parents des élèves de terminale de signer un papier par lequel ils s’engagent à ne pas laisser leurs enfants continuer la fête dehors après la cérémonie officielle à l’école. Cette année, il a été décidé que, le jour fatidique, la vente de boissons alcoolisées titrant plus de 15° cesserait à 13 heures, avec des amendes à la clé pour les contrevenants. La mairie de Moscou, pour sa part, n’est pas allée jusqu’à une interdiction formelle, mais a recommandé aux commerçants de ne pas proposer de boissons alcoolisées et de tabac à la vente entre 8 heures et 22 heures.
Beaucoup d’autres méthodes ont également été imaginées. La plupart des lycées de Moscou et des alentours ont fait promettre à leurs élèves de ne pas ingurgiter une seule goutte d’alcool. “Tous nos élèves de terminale ont signé ce document”, nous a-t-on assuré dans l’un des lycées d’Odin­­tsovo [dans la banlieue ouest de la capitale]. “On nous a dit que si nous ne tenions pas notre promesse nous ne serions pas admis à passer les épreuves du bac, et qu’à la place nous aurions un simple certificat de fin d’études secondaires”, nous a confié Evguenia S., qui achève sa terminale à Moscou.
Toutefois, les juristes préviennent que cette mesure, certes dissuasive, est parfaitement illégale. “Il n’est écrit nulle part que le comportement de l’élève durant la fête de fin d’études secondaires conditionne en quoi que ce soit son accès aux épreuves du bac”, affirme l’avocat Anton Leliavski. Les enseignants sont-ils vraiment déterminés à mettre leur menace à exécution, ou veulent-ils simplement faire peur à leurs élèves ? Nous le verrons très vite.
Pour Sergueï Komkov, la seule solution serait de faire disparaître cette fête. L’idée n’est pas nouvelle. En 2007, le président du Tadjikistan, Emomali Rakhmonov, a décrété la suppression de cette cérémonie [encore pratiquée dans la plupart des anciennes républiques soviétiques], au motif qu’elle ruine les parents d’élèves.

Anastasia Iamchtchikova et Natalia Tsoï
Novyé Izvestia



14/06/2008
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