Les villageois qui ont vu Ingrid Betancourt
Des
informations très alarmantes sur l'état de santé de l'otage franco-colombienne
circulent dans la presse. Elle aurait été soignée fin février au dispensaire
d'El Capricho, un petit village du Guaviare, au sud du pays.
Les rares personnes à avoir vu Ingrid Betancourt à
El Capricho auraient sans doute préféré être aveugles et muettes. En butte
à la fois aux menaces des FARC et aux questions pressantes de l'armée, elles
ont dû s'exiler à San José del Guaviare [à
El Tiempo a eu accès au témoignage d'une personne qui a aidé l'un de ses
amis à fuir après que celui-ci avait eu la malchance d'assister au passage
fantasmagorique de l'ancienne candidate à la présidence de la République
colombienne.
Ingrid Betancourt flottait dans un imperméable vert trop grand pour elle, qui
la couvrait des pieds à la tête. Elle avait beau être très amaigrie, avoir le
teint jaunâtre, il était impossible de ne pas la reconnaître après l'avoir vue
tant de fois à la télévision.
"C'est Ingrid", s'est dit en lui-même ce témoin involontaire, tout en
gardant le silence, comme les gens ont appris à le faire dans les villages du
Guaviare depuis que la guerre a commencé à leur apporter leur lot de blessés,
modestes paysans ou chefs de la guérilla. Comme il l'a avoué ensuite à son ami
de San José, cet homme a eu du mal à contenir son angoisse quand il l'a vue
parcourir l'étroit couloir du dispensaire flanquée de deux guérilleros des FARC
qui la soutenaient pour éviter qu'elle ne s'évanouisse.
Ingrid se taisait elle aussi. "Presque à bout de souffle", elle
obéissait aux instructions du personnel médical. Elle a fait oui de la tête
lorsqu'on lui a demandé si elle avait mal au ventre.
Elle est ainsi restée deux heures allongée sur un brancard, où on lui a fait
plusieurs piqûres. Pendant ce temps, trois guérilleros étaient postés devant le
centre de soins.
D'après le témoin en fuite, le médecin a demandé aux guérilleros que la
patiente soit transférée immédiatement à l'hôpital de San José del Guaviare.
Ils ont refusé : tout ce qu'ils voulaient, c'est que l'état de la patiente
soit stabilisé afin de pouvoir l'emmener dans un endroit où ils s'occupaient
eux-mêmes des malades.
Selon ceux qui ont eu accès au dossier médical, le pronostic était réservé.
Outre son hépatite B, Ingrid souffrirait de leishmaniose et de paludisme.
Le 21 février, une fois la patiente réhydratée, les guérilleros ont repris le
chemin de la forêt. La tension est alors montée : qu'allait-elle
devenir ? A La Carpa, un autre village des environs de San José, des
rumeurs ont commencé à circuler, selon lesquelles Ingrid Betancourt aurait été
vue très mal en point.
L'inquiétude a atteint son comble dans ces villages quand l'armée est arrivée
pour interroger tout le monde sur ce qu'à peine quelques-uns avaient vu.
Aujourd'hui, El Capricho est militarisé, et une plainte a été déposée auprès de
la direction des services de santé du chef-lieu du département [San José del
Guaviare] pour "infraction au code de déontologie" en raison de la
présence d'hommes armés. Le 17 mars, on apprenait que le médecin
démissionnait et que l'infirmière auxiliaire et l'ambulancier demandaient leur
mutation.
Lorsque le médiateur Vólmar Pérez a déclaré [le jeudi 27 mars] à tout le
pays [à la radio] qu'à la lumière de plusieurs témoignages concordants il
pouvait affirmer qu'Ingrid était "très gravement malade", cela
faisait déjà longtemps que le Guaviare était sur des charbons ardents. [Ce même
27 mars, le gouvernement colombien proposait aux FARC de libérer un nombre
important de guérilleros en échange de la libération d'Ingrid Betancourt.]
Marisol Gómez Giraldo et Jhon Moreno
El
Tiempo