Les Tibétains font leurs jeux olympiques
Siège du gouvernement du dalaï-lama en exil,
la petite ville de Dharamsala, dans le nord de l'Inde, accueille depuis hier
les premières olympiades cent pour cent tibétaines dans une atmosphère bon
enfant.
Une heure de yoga pour s'échauffer, avant le petit-déjeuner.
Les athlètes de Bouddha font d'abord transpirer leur esprit, avant
(éventuellement) de faire travailler leurs muscles. Chacun a ses psychologues
et son entraînement de l'âme. Ce sont les jeux de ceux qui ne peuvent jouer.
Les jeux des exilés, expulsés de chez eux, sans nationalité ni passeport, de
ceux qui ne peuvent se rendre à Pékin car leur drapeau n'y est pas admis. Ici,
nul besoin de gymnase : c'est dans le temple que l'on médite et que l'on prie.
C'est ici, à Dharamsala, petite ville de l'Inde du nord, où le dalaï-lama s'est
exilé en 1959 et où vivent 80 000 réfugiés du Tibet, qu'ont commencé hier les
premiers – et peut-être derniers – jeux olympiques tibétains.
Il s'agit de montrer au monde que même les Tibétains peuvent – et doivent –
faire du sport. Le sport est pourtant interdit aux moines bouddhistes : les
hautes autorités religieuses considèrent le football et le basket comme de
dangereuses distractions. Le village olympique consiste en tout et pour tout en
une modeste pension de famille : lits de camp, WC collectifs, gros cadenas, et,
au déjeuner, mangues, pastèques et papayes en guise de compléments
alimentaires. Pourtant, presque tous les participants possèdent un téléphone portable.
Leur slogan : "Un monde, plusieurs rêves", fait écho – non
sans polémique – à celui des Jeux de Pékin : "One World, One
Dream". Hier, on a commencé par le tir à l'arc, puis on poursuit avec
la course de fond : comme il n'y a pas de stade, on court du temple
Tsuglag-khang au village de Naddi ; ensuite, les épreuves de natation se
dérouleront dans la petite piscine d'une auberge, avant les six épreuves
d'athlétisme. Les hommes et les femmes sont séparés, mais chaque concurrent est
tenu de participer à toutes les compétitions. Les participants doivent avoir
entre 15 et 30 ans. L'équipement ressemble à celui d'une fête de village :
quatre fusils à air comprimé et dix javelots en bambou, loués à une école. Les
survêtements – rouges pour les hommes, blancs pour les femmes – fournis par une
société indienne sont en synthétique : on transpire rien que de les voir. A
Dharamsala, la chaleur est étouffante et humide : le matin, la ville est sous
la brume, et il pleut l'après-midi. Le médecin ? Une vétérinaire australienne,
Catherine Shuetze, également responsable des finances.
Le Pierre de Coubertin tibétain s'appelle Lobsang Wangyal, et il n'est pas
baron : il a 38 ans, mais en déclare 42 quand il est en présence d'une femme
("L'homme mûr a plus de chances", dit-il). Il est né à Orissa, dans
l'est de l'Inde, où ses parents ont émigré en 1959. Il se présente comme un
impresario, il a d'ailleurs une maison de production. C'est lui qui a organisé
Miss Tibet, un concours de beauté qui a réuni six participantes.
Lobsang n'est pas moine, il s'habille comme un acteur : chemise orange, jean,
faux sabots crocs rose et lunettes de soleil rose, queue-de-cheval et boucle
d'oreille. "Cette idée m'est venue en 2001, quand les Jeux olympiques ont
été attribués à Pékin. J'étais très heureux pour le peuple chinois qui mérite
cet événement. Je ne suis pas pour le boycott, je suis pour les athlètes. Ce
sont leurs Jeux ; mais ce ne sont pas les Jeux du gouvernement chinois, qui
détruit l'environnement et les hommes avec sa politique désastreuse. Alors je
me suis dit : nous qui ne pouvons pas participer aux JO, au lieu de nous
apitoyer sur notre sort, essayons d'organiser nos propres jeux. Je me suis
renseigné : la tradition tibétaine prévoit des épreuves de soulèvement de
rochers et des courses à cheval. Mais soulever des pierres est épuisant, et qui
sait encore monter à cheval de nos jours ? J'ai donc choisi d'autres épreuves :
en athlétisme, le 80 mètres sans obstacles, parce que notre région est
montagneuse et n'offre pas de ligne droite longue de 100 mètres. Pour la
natation, j'ai trouvé une piscine de moins de 20 mètres : aucun style n'est
imposé, il suffit de faire des longueurs."
Le dalaï-lama n'a pas eu vent de cette initiative, alors qu'il vit ici :
"Je ne vais pas aller le déranger pour ça ! C'est une haute personnalité,
il voyage dans le monde entier, il a d'autres interlocuteurs. Et je ne cherche
pas spécialement à avoir son approbation. D'ailleurs, les moines déconseillent
les jeux de ballon : ils disent qu'on shoote sur la tête de Bouddha. En
réalité, on joue en cachette. Je me suis simplement inquiété de savoir si le
Comité international olympique pouvait me faire un procès parce que j'ai
employé l'expression "jeux olympiques" (au début, je voulais appeler
ces jeux Tibetan Olimpia). Notre flamme s'est déplacée dans douze villes : elle
n'a pas apporté la misère, mais la joie. Beaucoup de gens m'ont soutenu, mais
peu de partenaires ont accepté de m'aider : tout le monde a peur de se mettre
la Chine à dos. Seul le ténor Luciano Pavarotti [décédé en septembre 2007]
finançait généreusement nos écoles.
Je
remercie Ruthie, de Seattle, qui a fait le don le plus important : 2 000
dollars. Aujourd'hui, je n'ai que 400 dollars en poche. J'espère gagner de
l'argent avec la vente de gadgets, de tee-shirts et de billets. Les médailles
ont un prix : 2 500 dollars pour l'or, 1 250 pour l'argent et 625 pour le
bronze. Je ne sais pas si j'arriverai à trouver tout cet argent. Mais le plus
important, c'est de nous moderniser. Mon père est mort d'une cirrhose du foie,
il buvait trop. Notre style de vie doit changer : moins de viande séchée et
d'aliments fermentés, plus de légumes et de céréales. La santé, c'est très
important."
On attendait 29 concurrents ; pour l'instant, on ne compte que 13 hommes et 7
femmes. Yangchen Palno Artsa, femme mariée de 27 ans, vient de Delhi, où elle
tient une boutique d'art tibétain. Elle dit qu'elle a fait du sport à l'école,
puis qu'elle a arrêté, parce qu'elle devait gagner sa vie. Elle espère obtenir
un bon score dans la course à obstacles. Tashi Yengzom, 24 ans, est née à
Tingree, en Inde ; elle vient juste participer, elle ne pense pas être
performante. Dolkar Tso, vingt ans, vient d'Amdo Golog ; elle porte autour du
cou un rang de perles avec l'image du dalaï-Lama. Les jeunes femmes portent des
bagues, des boucles d'oreilles, du vernis à ongles,mais elles restent timides.
Les hommes ont du gel dans les cheveux et portent des tee-shirts (de
contrefaçon) à la mode. Ten Chanpel, 26 ans, vit à Delhi. Il se vante de
pouvoir courir le 100 mètres en 11 secondes : qu'importe si c'est un mensonge.
Dawa Tashi, 24 ans, est le plus athlétique, peut-être parce qu'il est guide de
montagne : il fait du trekking dans le Ladakh [région du Cachemire] et grimpe
jusqu'à 6 000 mètres. Il dit qu'il peut marcher
Emanuela Audisio
La
Repubblica