Les mauvaises fréquentations de John McCain
Le candidat républicain
voudrait bien oublier l'économie qui ne lui réussit pas dans les sondages. Mais
en s'attaquant aux relations d'Obama, il oublie que les siennes sentent aussi
le soufre.
"Il
ne fait aucun doute que nous devons changer de sujet", a déclaré dernièrement
une figure influente du Parti républicain, en faisant allusion à l'économie et
à la manière d'y remettre de l'ordre. En se concentrant sur ce sujet, les
Américains ont perdu de vue les brillantes qualités de John McCain, ce qui a
permis à Barack Obama de prendre la tête dans les sondages à l'échelle
nationale et dans un grand nombre d'Etats clés. Les stratèges républicains ont
compris qu'en continuant à ne parler que d'économie, la cote de McCain
continuerait de chuter. Son équipe de campagne vient donc d'annoncer son
intention de repasser à l'attaque sur le thème crucial des liens d'Obama avec
le pasteur Jeremiah Wright et avec Bill Ayers, un ancien membre du mouvement
radical Weather Underground qui a enseigné pendant près de vingt ans à
l'Université de l'Illinois.
Le 4 octobre, au cours d'une réunion de campagne dans le Colorado, Sarah Palin,
colistière de John McCain, a accusé Obama de "copiner avec des
terroristes", faisant référence à ses liens avec Bill Ayers. Or l'article
dont elle s'inspirait, paru le matin même dans The New York Times,
concluait que les liens entre les deux hommes se bornaient à des rencontres
lors des réunions du conseil d'administration de deux organismes de Chicago et
que leurs seuls contacts consistaient à se croiser sur le trottoir (ils
habitaient le même quartier) depuis qu'Obama était devenu sénateur de l'Etat en
janvier 2005. Si l'équipe de McCain veut fouiller dans les relations, réelles
ou imaginaires, de ses adversaires, elle devrait commencer par son propre camp.
L'un des premiers responsables de la crise financière qui est en train de
plonger le pays dans la récession n'est autre que l'ancien sénateur du Texas
Phil Gramm, le propre conseiller économique de John McCain.
Phil Gramm a toujours été l'homme de Wall Street au Sénat. Président de la
Commission des affaires bancaires sous Clinton, il n'a cessé d'affecter des
crédits insuffisants à la SEC, le gendarme de la Bourse américaine, et s'est
toujours opposé à ce qu'elle interdise aux cabinets d'expertise comptable de
vérifier les comptes d'entreprises avec lesquelles ils avaient des conflits
d'intérêts. Sa plus grosse erreur a été son amendement à la loi de
modernisation des contrats à terme sur les matières premières (CFMA) qui a
empêché le gouvernement de réglementer les "credit default swaps",
ces polices d'assurance couvrant les pertes sur les titres lorsqu'ils tournent
mal. Lorsque la bulle immobilière s'est formée, la valeur nominale de ces
"swaps" a atteint la coquette somme de 62 000 milliards de dollars. Et,
quand elle a éclaté, ils n'ont plus représenté qu'un énorme tas de papier sans
valeur, car aucune agence gouvernementale n'avait exigé des banques qu'elles
mettent de l'argent de côté pour les cautionner.
La CFMA a également empêché toute réglementation gouvernementale du marché
énergétique, ce qui a permis à Enron de conduire quasiment à la banqueroute
l'Etat de Californie avant de faire faillite elle-même. Le problème, bien
entendu, est que la relation de Phil Gramm avec John McCain n'est pas comparable
à celle de Bill Ayers ou de Jeremiah Wright avec Barack Obama. L'idée qu'Ayers
ou Wright puissent avoir une influence sur l'action d'un gouvernement Obama est
absurde. En revanche, Gramm et McCain, eux, ont formé une alliance politique et
économique appelée à durer. John McCain a dirigé l'éphémère campagne
présidentielle de Phil Gramm en 1996. Ce dernier est aujourd'hui le codirecteur
de celle de McCain. Le candidat républicain parle de Gramm comme de l'un de ses
principaux conseillers économiques et il n'a pas démenti la rumeur selon
laquelle il est bien placé pour devenir ministre des Finances si lui-même est
élu.
A en croire ses collaborateurs, John McCain tentera au cours du débat du 7
octobre de "changer de sujet" et de passer de l'économie aux liaisons
dangereuses d'Obama. Mais on peut douter du succès d'une telle tactique. Le
candidat démocrate fera valoir qu'en cette période de grave crise économique,
le public mérite un débat axé sur les mesures que les deux candidats envisagent
pour remettre le pays sur pied plutôt que sur des attaques tendancieuses contre
les "amis" de leur adversaire. Au besoin, il pourrait même rappeler
que c'est le principal conseiller économique de John McCain qui a réduit la
solvabilité et la puissance américaines au-delà des rêves les plus fous des
terroristes antiaméricains.
The Washington Post