Les Britaniques apprennent à se fzire la bise
Le
bisou sur la joue s'impose partout en Occident comment moyen de se saluer, au
point que même les Britanniques, par nature réservés sur les contacts physiques
en public, s'y mettent. Avec un esprit so british, The Guardian
inculque à ses lecteurs les règles de base de ce nouveau code de bienséance.
Peu
à peu, presque insidieusement, nous autres Britanniques nous sommes transformés
ces dernières années en une nation d'embrasseurs effrénés. Enfin, pas tout à
fait une nation : par exemple, les clubs ouvriers de Wakefield ont encore
une certaine réticence à considérer le baiser dans le vide comme une façon
normale de se dire bonjour. Mais dans bien d'autres contextes tout aussi peu
appropriés, et un peu partout dans le pays, les Anglais qui préfèrent froideur
et distance ne constituent plus qu'un dernier carré qui livre une bataille sans
espoir. Nous aimons nous embrasser, nous ne pouvons plus nous en passer !
"Tout le monde s'y met", confirme Carol McLachlan, coach en
développement personnel pour comptables (ça ne s'invente pas), qui tient un
blog sur les us et coutumes des entreprises et d'autres sujets sur .
"Directeur de banque et client. Patron et employé. Voisins. Client et
comptable. N'importe quel collègue de longue date. Tous se disent bonjour en
s'effleurant légèrement aux environs de la joue et des lèvres. Apparemment, la
règle veut que l'on puisse s'embrasser après la première rencontre. Et dans le
milieu de l'entreprise, en tout cas, ce n'était certainement pas comme ça il y
a encore trois ans à peine."
Les sociologues, pour la plupart, considèrent que cette grande pandémie du
baiser s'inscrit dans une "inflation" globale "de signaux
intimes" qu'ils observent depuis les années
Quelle qu'en soit la raison, l'inexorable ascension du bisou social a engendré
tout une nouvelle batterie de questions épineuses en termes d'étiquette.
Embrasser ou ne pas embrasser – ou, de plus en plus, comment
embrasser : ce problème est aujourd'hui vital dans les relations sociales,
au point d'être devenu un véritable champ de mines dans le domaine des bonnes
manières. Faut-il préférer la poignée de main à l'ancienne faisant paraître
coincé ou la grosse bise potentiellement trop familière ? Si l'on penche
pour cette dernière, faut-il poser légèrement une main sur l'épaule de l'autre
personne ou fermement lui serrer le haut du bras (mais alors, que faire de son
autre main) ? La joue droite d'abord ou la gauche ? Contact
épidermique ou non ? Et, la question la plus éprouvante : un baiser ou
deux ?
Comment se sortir de ce casse-tête ? Inutile d'aller chercher des réponses
sur le continent, où le bisou social, bien qu'omniprésent en France, en
Belgique, en Italie, en Espagne, en Grèce et même dans cette bonne vieille
Suisse rassise, fait l'objet de règles d'une complexité frisant l'absurde. En
Belgique, par exemple, c'est une seule bise, à moins qu'il y ait une différence
d'âge d'au moins dix ans, auquel cas on passe à trois. En Espagne, d'ordinaire,
c'est deux, en commençant par la joue droite. Et en Allemagne, c'est rien du
tout, sauf entre membres d'une même famille et amis très proches consentants
(mais personne ne pourra vous donner une définition précise de la proximité en
question).
En France, c'est particulièrement difficile : selon qui on est, qui on
embrasse et où les deux personnes se trouvent, on peut aller d'un à quatre
bisous. En termes de classes, la haute société française préfère deux bécots…
Il serait vulgaire d'en faire plus. Les femmes peuvent embrasser des hommes
comme des femmes qu'elles n'ont jamais rencontrés auparavant. De même, les
hommes embrassent les femmes, parfois en demandant la permission au préalable
("On se fait la bise ?"*) Les hommes, en revanche, ne
s'embrassent que s'ils se connaissent vraiment bien. Et tout ça sans compter
les variantes régionales.
Fort heureusement, voici qu'arrive à notre rescousse Judi James, spécialiste du
langage corporel et du comportement social. "Il nous faut vraiment des
règles claires", déclare-t-elle sans ambages. "Les Britanniques
n'étaient déjà pas très doués pour la poignée de main, et maintenant nous voilà
obligés de faire face aux baisers virtuels, aux baisers sur la joue, aux
accolades, aux attouchements, et même aux baisers sur la bouche. Ce n'est pas simple.
La règle de base, selon moi, devrait être que les poignées de main, ça va pour
tout le monde, et que les baisers devraient être réservés aux gens avec qui
vous entretenez des relations sous une forme ou sous une autre.
Alors, vous y voyez plus clair ? Bien sûr, il vous reste toujours la
possibilité de tendre la main d'un air décidé et de mettre l'autre personne au
défi de faire autre chose que de la serrer. Mais ajoutons, à toutes fins
utiles, que le Forum scientifique international sur l'hygiène domestique,
installé à Londres, a officiellement déclaré l'an dernier qu'un bref bisou sur
la joue "présentait nettement moins de risques" de transmettre des
virus comme ceux de la grippe, du rhume ou de la gastro-entérite qu'une bonne
vieille poignée de main.
* En français dans le texte.
Jon Henley
The
Guardian