La Sorbonne entre éternité et rénovation

 Les siècles pèsent sur la vénérable université parisienne : manque de personnel, vétusté et exiguïté des locaux…

Tradition oblige ! Peut-être est-ce pour cela que le temps s'est figé à la Sorbonne, entre les portes grinçantes et les couloirs de marbre qui mènent le visiteur à un vieux bureau noyé sous les dorures et encombré d'un lourd mobilier de chêne. C'est ici, au pied des bustes ou des portraits à l'huile de leurs prédécesseurs, que les professeurs de la plus grande université de France reçoivent leurs invités. Quand le professeur de droit public David Capitant passe par ces salles vénérables, la longue histoire de la première université parisienne l'interpelle toujours.

Thomas d'Aquin a étudié à la Sorbonne – tout comme Pierre et Marie Curie, et Simone de Beauvoir. Et l'université attire encore des étudiants du monde entier : un bon cinquième d'entre eux viennent de l'étranger. Un quart des étudiants français quittent la province pour venir à Paris : quand leurs résultats scolaires ne leur permettent pas d'intégrer une grande école (garantie de carrière en France), ils entendent au moins réussir à la Sorbonne.

La Sorbonne est une marque qui se vend très bien, même si le produit n'est plus aussi clairement défini qu'auparavant. Depuis que l'université originelle a éclaté en treize établissements, en 1970, seuls trois d'entre eux portent encore le nom initial, Paris-I Panthéon-Sorbonne, Paris-III Sorbonne Nouvelle et Paris-IV Paris-Sorbonne.

Comme c'est souvent le cas pour les marques, il y a quelque peu tromperie sur la marchandise. Seule Paris-I, avec ses 40 000 étudiants, a encore son siège au Quartier latin. Cela a un prix : l'espace est rare. "Il y a longtemps que les professeurs n'ont plus leur propre bureau", confie Capitant. Et il est courant que ses cours de première année se déroulent devant 600 étudiants. A la Sorbonne, on manque d'auxiliaires, de secrétaires… bref, de personnel. Il n'y a que quatre personnes pour gérer à chaque rentrée l'inscription de 5 000 étudiants de première année. Aussi, les dossiers se perdent parfois dans le chaos. Ce genre de chose n'arrive pas dans les universités privées – "Elles font plus attention à leur emballage", explique Capitant –, et c'est important aussi, et de plus en plus, avec la concurrence que se font les universités pour attirer les 2,25 millions d'étudiants que compte le pays.

Car les moyens que l'Etat octroie aux établissements d'enseignement supérieur dépendent en premier lieu du nombre d'étudiants. Si les amphis débordent en première année, le problème s'inverse au plus tôt à la fin de la licence : arrivés en maîtrise, nombre d'étudiants changent de discipline, voire d'université. Seules trois universités françaises figurent parmi les cent premiers établissements d'enseignement supérieur du classement de Shanghai, qui recense les 500 meilleurs du monde entier. Mais cela ne choque plus vraiment en France. Cette situation ne s'explique pas seulement par une situation financière calamiteuse. Si 80 % des élèves obtiennent le baccalauréat, ce pourcentage qui peut paraître miraculeux pour les Allemands se révèle trompeur : la moitié des inscrits à l'université échouent dès la première année.

Et ce n'est pas faute de prise en charge. "De nombreux lycéens ont tout simplement un niveau catastrophique", confie Anja Schnabel, lectrice d'allemand à Paris-X Nanterre. Or, en France, ce ne sont pas les lycées qui vérifient si un jeune a le niveau pour faire des études supérieures, mais les universités. Et elles sont débordées. Pour les soutenir, Valérie Pécresse, la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, a concocté un plan ambitieux : le gouvernement accordera 730 millions d'euros cumulés sur cinq ans pour permettre aux établissements d'engager des tuteurs et d'augmenter le nombre de petits groupes de travail. La ministre choisira en outre seize établissements ayant un bon programme de prise en charge des étudiants de première année. Pas question, en revanche, de toucher aux frais de scolarité. Si, comme en Allemagne, les jeunes qui font des études supérieures sont en majorité issus de familles favorisées, la Grande Nation* n'entend pas rebuter un peu plus les enfants d'ouvriers.

Le gouvernement souhaite en outre que les universités créent des fondations et s'efforcent d'obtenir le soutien des entreprises privées, un vœu pieux auquel elles doivent d'abord s'habituer. "Une participation des entreprises, c'est pour beaucoup un signe de dépendance", confie David Capitant. Mais, selon lui, cette conception est en train de changer peu à peu*. La prestigieuse Sorbonne n'est pas la seule université française où le temps s'écoule lentement. L'enseignement supérieur français, ajoute David Capitant en cherchant une comparaison appropriée, est pesant, lourd et lent comme une tortue. Mais les tortues finissent toujours par arriver à destination.

 

Yvonne Globert
Frankfurter Rundschau



14/11/2008
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