L'éducation en Afrique : ce que nos dirigeants ne nous disent pas
Il y a actuellement un
vaste mouvement international en faveur de la généralisation et de la gratuité
de l'éducation en Afrique. L'objectif est d'atteindre l'éducation pour tous à
l'horizon 2015. Alors, à l'intérieur des Etats, on se débrouille comme on peut
en oubliant de bien restituer le sujet dans son contexte.
Un projet de refondation de l'école burkinabè a été réalisé l'année dernière
sous l'instigation des ministères en charge de l'Education dans notre pays.
Cette étude réalisée sous la supervision du Dr Basile Guissou institue pour la
première fois et de façon explicite des principes que l'on croyait jusque-là
inaccessibles. La refondation, mais il semble finalement que les politiques ont
préfèré la reforme, consacre pour la première fois l'obligation et la gratuité
de l'enseignement pour tous les enfants burkinabè de 6 à 16 ans. Il reforme
aussi les cycles de l'enseignement en instituant les cycles terminaux qui,
d'une certaine façon, font coïncider l'éducation à la formation.
Le premier cycle court du CP à la troisième des collèges de l'enseignement
secondaire. L'enfant qui aurait accompli ce premier cycle et qui n'aurait pas
les aptitudes pour poursuivre devrait être suffisamment outillé pour faire face
au marché de l'emploi. Un second cycle terminal serait évidemment la terminale.
Le Bac serait ainsi, non plus un simple parchemin qui ouvre les portes de
l'université, mais aussi un certificat qui qualifie son titulaire à un emploi.
Et à ce niveau aussi, les aptes pourront continuer le processus d'instruction formation
au niveau du supérieur. Cette reforme aussi suggère l'institution de la
formation continue toute la vie durant et des passerelles incluant aussi les
formations non formelles ou purement informelles.
Ce projet est depuis lors adopté par les autorités et est devenu dès lors le
bréviaire de l'éducation dans notre pays. Une des matérialisations de cette
reforme a été au début de cette année le lancement dans 45 départements
pilotes, de deux initiatives importantes : La gratuité complète et l'obligation
de la scolarisation des enfants qui ont entre 6 et 16 ans. Cette opération
s'est faite quelque peu en catimini, excluant de poser parfois les nécessaires
questions et de donner les indispensables explications.
En effet, la première question, c'est pourquoi maintenant ? Du côté du
gouvernement, cette question peut sembler inopportune, parce que cela va de
soi. En instituant la gratuité et l'obligation de la scolarité, il satisfait un
droit social fondamental des Burkinabè, à savoir le droit à l'éducation. En
même temps aussi, il met en œuvre le programme du chef de l'Etat, à savoir la
valorisation des ressources humaines contenue dans le programme quinquennal
d'une " société d'espérance pour un progrès continu". Cette
récupération, totalement compréhensible, omet de poser dans notre société, le
débat qui préoccupe actuellement la communauté internationale depuis une
décennie, qui est de savoir comment mettre fin à cette injustice inacceptable
de millions d'enfants africains exclus du système formel de l'éducation dans
nos pays. La reconversion de nos Etats à cette nouvelle " religion "
de l'école obligatoire et gratuite pour les 6-16 ans, s'explique donc par cette
nouvelle exigence de la communauté internationale. L'Etat burkinabè en omettant
de poser les choses en des termes assez clairs fait l'économie,
malheureusement, d'un débat social et politique indispensable qui aurait aidé à
approfondir et à " endogeneiser " la problématique de l'école chez
nous. Les concepteurs de la reforme n'ont pas eu tort de penser à une
refondation. Seulement, ils n'en avaient pas la légitimité, parce que
sollicités comme de simples experts. Les experts proposent des reformes. Ils ne
refondent pas les sociétés et c'est cela notre drame. Ensuite, à quoi rime
l'obligation de la gratuité pour les 6-16 ans ? Cette option en elle-même aussi
n'est pas tombée du ciel. En effet, les études ont montré qu'en général
l'enfant occidental a une durée de scolarisation moyenne de 12 ans. A l'opposé,
l'enfant reste à l école seulement 6 ans. La qualité de l'apprentissage
évidemment s'en ressent. Ce qui fait que les produits de l'école africaine sont
de moins bonne qualité comparés aux produits de l'école occidentale. Mais cette
question de l'incidence de la durée sur la qualité n'est pas totalement admise
par tous les experts. Certains d'entre eux pensent que plus que la durée, c'est
la densité qui fait la différence. L'élève occidental reçoit environ 1000
heures d'enseignement dans l'année, tandis que son petit camarade africain n'en
reçoit que 500. Voila donc des questions que l'on aurait pu poser et trancher
en choisissant, pour un pays à faibles ressources les combinaisons qui nous
sont les plus supportables à long terme. Il reste évidemment que d'autres
questions fondamentales ne sont pas encore tranchées, comme le choix des
langues. Là aussi, contrairement aux idées dominantes, les choses ne sont pas
aussi simples.
Le problème de nos gouvernements, c'est qu'ils ne savent pas bien poser les
problèmes. Or un problème bien posé est aussi à moitie résolu. On ne reforme
pas un domaine aussi important comme l'éducation en vase clos avec la lueur de
la lumière des seuls experts. Le débat social autour de notre école que la
présente reforme aurait pu donner lieu ne s'est pas produit. L'expérience de l'école
obligatoire est donc en marche avec ces faiblesses congénitales. D'ici 2015, on
aura certainement fait du chiffre. Les statistiques bruts vont s'améliorer.
Mais in fine, la société aura-t-elle produit son école. Cette école endogène
indispensable a sa survie et a sa reproduction ? La question est posée. C'est
un peu tôt évidemment de tirer l'expérience de la première année de la gratuité
et de l'obligation de la scolarisation dans les 45 départements. Une première
difficulté pour les enseignants et les parents dans l'ère de l expérimentation
est quand même de résoudre au plus vite la problématique du passage automatique
en classe supérieure. Si le plus important, ce ne sont pas les notes, il reste
qu'il faut trouver une valeur de substitution. Laquelle ? Ni les enseignants ni
les parents n'y sont encore préparés. Newton
Ahmed Barry