L'avertissement qui nous vient de Loumbila !
Le Conseil municipal de cette banlieue de Ouagadougou a des difficultés pour se trouver un terrain afin d'y bâtir son Hôtel de ville. Le Conseil communal a délibéré, une première fois, pour se choisir un terrain vers Nongana, non loin de l'espace aménagé par la SONATUR. Les notables de Loumbila auraient trouvé cet endroit non situé au chef-lieu de la commune. Le Conseil a ensuite fait appel aux services techniques du Ministère de l'Administration territoriale et de la Décentralisation (MATD), pour se faire indiquer un endroit approprié pour ériger le bâtiment siège de la commune. La mission du MATD s'est déplacée et après avoir convenu des critères de choix avec le Conseil municipal, élargi aux personnes ressources, a désigné un lieu. Seulement voilà, quelque temps après, le chef traditionnel et certains conseillers qui lui sont acquis ne veulent plus de cet emplacement. Le chef traditionnel et quelques uns de ses affidés ont décidé que la mairie s'édifierait à un endroit que eux ont choisi et qu'ils ont indiqué à la mission du MCA, bailleur de fonds pour la construction de la mairie.
Cette nouvelle donne décontenance la majorité des conseillers municipaux de Loumbila qui se demandent à quoi ils servent vraiment ? Le ministre de l'Administration du territoire a été saisi de la nouvelle situation, mais pour l'instant, il se ferait bien discret au lieu de rappeler avec fermeté, la force du droit.
Cette affaire vient rappeler une fois de plus qu'il y a un vrai danger à laisser perdurer la confusion des rôles, telle qu'elle sévit actuellement dans note pays, entre la responsabilité coutumière et les prérogatives de l'Etat. Dans la grande majorité de nos communes, les problèmes de dysfonctionnement sont le fait de cette confusion. Les chefs coutumiers, en vertu de leur poids électoral, ont décidé de tout régenter. Quand ils ne s'accaparent pas du Conseil communal, ils s'arrangent pour le gripper. Le pouvoir central n'a jamais voulu y mettre le holà, pour des raisons de clientélisme politique. Les chefs traditionnels se sentant ainsi indispensables au régime en place poussent chaque jour les limites de la défiance à l'autorité de l'Etat. Nous avons rapporté dans ces mêmes colonnes le comportement du chef traditionnel de Zékézé à propos de l'aménagement du périmètre irrigué qui porte le même nom. Se sachant protégé par son titre de chef, il impose aux techniciens du ministère de l'Agriculture ses quatre volontés dans le partage des parcelles et la gestion du matériel d'irrigation. Tout le monde est au courant, jusqu'au Haut Commissaire, mais personne ne dit rien. Se sentant ainsi invulnérable, le même chef est allé jusqu'à incendier l'année dernière un hameau d'un éleveur. Et pourtant, le préfet informé de ses desseins l'a convoqué pour le mettre en garde. Lui faisant savoir qu'il n'était dans les prérogatives d'un chef coutumier de chasser d'autre Burkinabè de leur hameau quelque soit la raison.
Avec la nouvelle loi sur le foncier adoptée le mois dernier, les chefs coutumiers, qui parfois se confondent avec les "possesseurs fonciers traditionnels" n'auront plus du mal à expulser d'autres Burkinabè des terres qu'ils occupent et exploitent présentement. Mieux, il leur est même facile de faire faire les titres fonciers par les exploitants actuels pour mieux les chasser. En effet, la loi prescrit qu'un nouvel exploitant d'une terre non immatriculée doit chercher et établir le titre de "possession foncière" au nom du propriétaire traditionnel. C'est seulement après cela qu'il pourra commencer l'exploitation qui ne peut pas durer plus de trois ans. Or, au terme de la loi précitée, ne peuvent prétendre à la possession foncière que les Burkinabè qui sont installés sur leur terre depuis au moins 30 ans. Tout le reste, ce sont de nouveaux exploitants. Au regard de cette disposition, beaucoup de paysans burkinabè sont des précaires. En raison de la situation particulière de notre pays, la grande majorité des paysans sont en fait des déplacés. Même dans les régions aménagées par l'Etat, les problèmes vont se poser. Par exemple dans les ex zones AVV, la durée locative de la terre par l'Etat est arrivée à son terme. Les possesseurs fonciers traditionnels sont en droit d'exiger des colons, soit qu'ils déguerpissent ou qu'ils fassent faire les "possessions foncières" au nom des propriétaires traditionnels de la terre.
La situation qui prévaut actuellement à Loumbila pourrait se démultiplier sur l'ensemble du territoire. Les chefs coutumiers peuvent non seulement s'opposer aux délibérations des Conseils municipaux qui ne les arrangent pas, mais ils sont désormais fondés en droit de chasser les paysans ou les populations qui ne feraient pas leur quatre volontés. Avant cette loi, des chefs traditionnels avaient menacé d'expulsion, les populations qui ne voteraient pas dans leur sens. Maintenant, ils peuvent le faire en toute impunité et les populations n'auront aucun recours.
Dans un pays comme le nôtre, une loi foncière doit d'abord commencer par instituer une justice sociale dans l'accès à la terre. Le reste viendra après. Si Houphouët Boigny n'avait pas eu l'intelligence de proclamer que la terre appartient à celui qui la met en valeur, l'agriculture ivoirienne n'aurait pas connu le développement qui fut le sien dans les années 1960 et 1970. Dans la gouvernance d'un pays, il faut savoir ce qui va dans l'intérêt du plus grand nombre. Newton Ahmed Barry