Hausse des prix : La Cotecna responsable mais pas coupable
La montée vertigineuse des
prix des produits de grande consommation serait-elle la conséquence de l'arrêté
ministériel confiant à Cotecna la charge de vérifier toute marchandise entrant
dans le pays ? Officiellement, cette mesure n'aurait rien à voir dans l'envolée
des prix. Pourtant, la réalité est tout autre.
La coïncidence n'est pas fortuite. Le consommateur a commencé à voir rouge
après la mesure gouvernementale datée du 21 novembre
Ce qui a changé avec la
nouvelle mesure
Deux choses ont changé
avec la nouvelle mesure. Avant, l'inspection se faisait avant embarquement des
marchandises et cela ne concernait que les marchandises dont la valeur est
égale ou supérieure à trois millions de f cfa. Cotecna délivre l'attestation de
vérification à partir des ports d'embarquement. Ce document est transmis à la
douane qui s'en sert pour la détermination des droits de douane. Désormais, la
vérification se fait à destination et sur toute marchandise. Le directeur
général de Cotecna/Burkina, Sébastien Dayama, affirme que " cette mesure
n'a aucune incidence sur la valeur réelle de la marchandise ". Depuis
2004, sa société ne fait que le même travail, celui de donner à l'Etat
burkinabè la valeur réelle des produits dont elle a la charge d'inspecter. Ce
qui a changé, c'est la quantité des marchandises à vérifier du fait de la
suppression de la valeur des marchandises à vérifier. C'est à ce niveau qu'il
voit une incidence et il s'en explique : " Le travail fait par Cotecna ne
concernait que les dossiers FOB* dont la valeur était supérieure ou égale à
trois millions de francs CFA. Ce qui signifie donc que sur les marchandises
dont les valeurs n'atteignaient pas ce seuil, Cotecna n'y intervenait pas.
C'est seulement la Douane qui travaillait sur ces dossiers. Mais on a constaté
que des gens, pour éviter les contrôles de nos services, fractionnaient les
dossiers. Par exemple, pour une facture de 10 millions, on la fractionnait en
trois ou quatre factures pour être en dessous de notre seuil d'intervention et
bien sûr pouvoir passer la déclaration sans Cotecna. "
La fin des deals ?
Pendant des années, ce
sont ces pratiques qui avaient cours. C'est une grande faille que la nouvelle
mesure vient supprimer. Cette carence dans les contrôles alimentait évidemment
le mécanisme de fraude avec la complicité des agents de la Douane. La
réputation de ce service par rapport à la corruption est connue. De nombreux
commerçants profitaient donc de cette situation pour sous facturer leurs
marchandises. Le manège consistait en ceci, selon le DG de la Cotecna : "
le fait constaté, c'est qu'il y a des produits qui coûtent réellement 10
millions de francs CFA à Dubaï, mais qui sont déclarés ici à 2 millions. La
nouvelle disposition ne permet plus ces genres de pratiques. Les marchandises
seront désormais dédouanées sur la base de leurs valeurs réelles.
Naturellement, le commerçant qui minorait les montants de ses importations va
maintenant payer les droits de douane à leurs justes valeurs. Il payera donc
plus qu'avant." La nouvelle mesure réduit donc l'intervention de leurs
complices dans le circuit de contrôle des produits. Mais c'est la Douane qui a
toujours le dernier mot. Elle reste souveraine dans la détermination de ses
droits perçus sur chaque marchandise. Même si elle est tenue de suivre
l'expertise de la Cotecna, elle reste souveraine. Qu'en est-il maintenant de
l'application de la nouvelle mesure ?
Le bras de fer
commerçants-gouvernement
Quand certains
importateurs ont pris connaissance du décret, ils ont décidé de ne pas déclarer
leurs marchandises en Douane. Ces marchandises sont restées pendant longtemps
dans les magasins, occasionnant une pénurie artificielle sur le marché. Ce qui
a eu pour conséquence la hausse des prix. Etait-ce un chantage fait au
gouvernement pour qu'il revienne sur sa décision ? Il y a lieu de le penser. Si
les commerçants ont accepté sortir les marchandises des magasins, c'était pour
majorer les coûts dans une proportion incroyable. Le gouvernement n'a pas
réagi. Le couvercle de la marmite sociale n'a pas, lui, tenu. Ne pouvant plus
de supporter la chaleur des hausses, il a sauté, faisant au passage les dégâts
que l'on sait. Mais finalement, les importateurs s'en sont sortis avec quelque
chose dans le bras de fer avec l'Etat : trois mois d'exonération de droits de
douane. Ici aussi, on remarquera cette coïncidence : la période accordée aux
commerçants pour faire rentrer leurs marchandises sans douane correspond au
temps d'application de la nouvelle mesure. En effet, l'arrêté ministériel n'a
fonctionné que trois mois. Ce qui donne l'impression d'un match nul entre les
deux parties. Le consommateur ne peut être satisfait de ce résultat, car il ne
lui garantit rien à long terme.
Trouver une solution
durable
Qu'adviendra-t-il après
l'expiration du moratoire de trois mois ? Dans le fond, il n'y a donc rien de
résolu. On est dans une situation provisoire. Que faut-il faire alors ? Il y a
plusieurs pistes qui se dégagent. Les syndicats privilégient la hausse des salaires
et la réduction des taxes sur certains produits. D'autres comme la Ligue des
consommateurs préconisent le contrôle serré des prix et l'ouverture par l'Etat
de magasins de vente de produits. En d'autres termes, ressusciter les "
Faso yaar " de la révolution. Ce clin d'œil fait à la révolution remet au
goût du jour l'un de ses slogans : "consommer burkinabè ". Produire
et consommer local était la politique prônée par le Conseil national de la
révolution (CNR). Aujourd'hui, de nombreuses organisations de la société civile
s'orientent vers cette solution. Pour preuve, la deuxième édition du Forum
social du Burkina qui se tiendra du 27 au 29 mars prochains à Ouahigouya a
retenu comme thème "l'intégration sous régionale et la souveraineté
alimentaire". Ces organisations de la société civile estiment que le vrai
salut réside dans cette option politique qui assure au pays sa souveraineté
alimentaire. Elles déplorent le sort réservé par l'Etat aux producteurs locaux.
A chaque édition de la Journée nationale du paysan (JNP), ils sont encouragés à
produire, mais en fin de compte, ils sont abandonnés. De la production à la
consommation, le producteur burkinabè a peu de soutien des pouvoirs publics.
Même la faible quantité produite arrive sur le marché sans être valorisée.
L'exemple patent, c'est le riz de nos différentes vallées. Il se fait
difficilement de la place sur le marché faute de soutien de l'Etat qui a
pourtant dépensé des milliards pour irriguer des milliers d'hectares. Il en va
de même d'un produit comme le lait. Le Burkina dépense chaque année pas moins
de 10 milliards pour son importation. Alors que tant que des produits de grande
consommation seront fournis par l'extérieur, le consommateur restera à la merci
des importateurs. Idrissa Barry