Hausse des prix : La Cotecna responsable mais pas coupable

La montée vertigineuse des prix des produits de grande consommation serait-elle la conséquence de l'arrêté ministériel confiant à Cotecna la charge de vérifier toute marchandise entrant dans le pays ? Officiellement, cette mesure n'aurait rien à voir dans l'envolée des prix. Pourtant, la réalité est tout autre.
La coïncidence n'est pas fortuite. Le consommateur a commencé à voir rouge après la mesure gouvernementale datée du 21 novembre 2007. C'est à partir de décembre-janvier 2007 que les prix de plusieurs produits de grande consommation comme le riz, le lait, l'huile, le sel ou le savon ont connu des envolées. L'arrêté ministériel du 21 novembre est simple dans sa formulation, mais lourd de conséquences pour les commerçants importateurs et les consommateurs. A partir de cette date, toute marchandise entrant au Burkina doit faire l'objet d'une vérification Cotecna. L'inspection de la société suisse consiste à vérifier la quantité des marchandises, à déterminer leur valeur et qualité. En d'autres termes, elle communique à la douane burkinabè le prix réel de la marchandise depuis la source, la quantité embarquée à destination du Burkina.

Ce qui a changé avec la nouvelle mesure

Deux choses ont changé avec la nouvelle mesure. Avant, l'inspection se faisait avant embarquement des marchandises et cela ne concernait que les marchandises dont la valeur est égale ou supérieure à trois millions de f cfa. Cotecna délivre l'attestation de vérification à partir des ports d'embarquement. Ce document est transmis à la douane qui s'en sert pour la détermination des droits de douane. Désormais, la vérification se fait à destination et sur toute marchandise. Le directeur général de Cotecna/Burkina, Sébastien Dayama, affirme que " cette mesure n'a aucune incidence sur la valeur réelle de la marchandise ". Depuis 2004, sa société ne fait que le même travail, celui de donner à l'Etat burkinabè la valeur réelle des produits dont elle a la charge d'inspecter. Ce qui a changé, c'est la quantité des marchandises à vérifier du fait de la suppression de la valeur des marchandises à vérifier. C'est à ce niveau qu'il voit une incidence et il s'en explique : " Le travail fait par Cotecna ne concernait que les dossiers FOB* dont la valeur était supérieure ou égale à trois millions de francs CFA. Ce qui signifie donc que sur les marchandises dont les valeurs n'atteignaient pas ce seuil, Cotecna n'y intervenait pas. C'est seulement la Douane qui travaillait sur ces dossiers. Mais on a constaté que des gens, pour éviter les contrôles de nos services, fractionnaient les dossiers. Par exemple, pour une facture de 10 millions, on la fractionnait en trois ou quatre factures pour être en dessous de notre seuil d'intervention et bien sûr pouvoir passer la déclaration sans Cotecna. "

La fin des deals ?

Pendant des années, ce sont ces pratiques qui avaient cours. C'est une grande faille que la nouvelle mesure vient supprimer. Cette carence dans les contrôles alimentait évidemment le mécanisme de fraude avec la complicité des agents de la Douane. La réputation de ce service par rapport à la corruption est connue. De nombreux commerçants profitaient donc de cette situation pour sous facturer leurs marchandises. Le manège consistait en ceci, selon le DG de la Cotecna : " le fait constaté, c'est qu'il y a des produits qui coûtent réellement 10 millions de francs CFA à Dubaï, mais qui sont déclarés ici à 2 millions. La nouvelle disposition ne permet plus ces genres de pratiques. Les marchandises seront désormais dédouanées sur la base de leurs valeurs réelles. Naturellement, le commerçant qui minorait les montants de ses importations va maintenant payer les droits de douane à leurs justes valeurs. Il payera donc plus qu'avant." La nouvelle mesure réduit donc l'intervention de leurs complices dans le circuit de contrôle des produits. Mais c'est la Douane qui a toujours le dernier mot. Elle reste souveraine dans la détermination de ses droits perçus sur chaque marchandise. Même si elle est tenue de suivre l'expertise de la Cotecna, elle reste souveraine. Qu'en est-il maintenant de l'application de la nouvelle mesure ?

Le bras de fer commerçants-gouvernement

Quand certains importateurs ont pris connaissance du décret, ils ont décidé de ne pas déclarer leurs marchandises en Douane. Ces marchandises sont restées pendant longtemps dans les magasins, occasionnant une pénurie artificielle sur le marché. Ce qui a eu pour conséquence la hausse des prix. Etait-ce un chantage fait au gouvernement pour qu'il revienne sur sa décision ? Il y a lieu de le penser. Si les commerçants ont accepté sortir les marchandises des magasins, c'était pour majorer les coûts dans une proportion incroyable. Le gouvernement n'a pas réagi. Le couvercle de la marmite sociale n'a pas, lui, tenu. Ne pouvant plus de supporter la chaleur des hausses, il a sauté, faisant au passage les dégâts que l'on sait. Mais finalement, les importateurs s'en sont sortis avec quelque chose dans le bras de fer avec l'Etat : trois mois d'exonération de droits de douane. Ici aussi, on remarquera cette coïncidence : la période accordée aux commerçants pour faire rentrer leurs marchandises sans douane correspond au temps d'application de la nouvelle mesure. En effet, l'arrêté ministériel n'a fonctionné que trois mois. Ce qui donne l'impression d'un match nul entre les deux parties. Le consommateur ne peut être satisfait de ce résultat, car il ne lui garantit rien à long terme.

Trouver une solution durable

Qu'adviendra-t-il après l'expiration du moratoire de trois mois ? Dans le fond, il n'y a donc rien de résolu. On est dans une situation provisoire. Que faut-il faire alors ? Il y a plusieurs pistes qui se dégagent. Les syndicats privilégient la hausse des salaires et la réduction des taxes sur certains produits. D'autres comme la Ligue des consommateurs préconisent le contrôle serré des prix et l'ouverture par l'Etat de magasins de vente de produits. En d'autres termes, ressusciter les " Faso yaar " de la révolution. Ce clin d'œil fait à la révolution remet au goût du jour l'un de ses slogans : "consommer burkinabè ". Produire et consommer local était la politique prônée par le Conseil national de la révolution (CNR). Aujourd'hui, de nombreuses organisations de la société civile s'orientent vers cette solution. Pour preuve, la deuxième édition du Forum social du Burkina qui se tiendra du 27 au 29 mars prochains à Ouahigouya a retenu comme thème "l'intégration sous régionale et la souveraineté alimentaire". Ces organisations de la société civile estiment que le vrai salut réside dans cette option politique qui assure au pays sa souveraineté alimentaire. Elles déplorent le sort réservé par l'Etat aux producteurs locaux. A chaque édition de la Journée nationale du paysan (JNP), ils sont encouragés à produire, mais en fin de compte, ils sont abandonnés. De la production à la consommation, le producteur burkinabè a peu de soutien des pouvoirs publics. Même la faible quantité produite arrive sur le marché sans être valorisée. L'exemple patent, c'est le riz de nos différentes vallées. Il se fait difficilement de la place sur le marché faute de soutien de l'Etat qui a pourtant dépensé des milliards pour irriguer des milliers d'hectares. Il en va de même d'un produit comme le lait. Le Burkina dépense chaque année pas moins de 10 milliards pour son importation. Alors que tant que des produits de grande consommation seront fournis par l'extérieur, le consommateur restera à la merci des importateurs. Idrissa Barry

" FOB (Free on board) : le prix d'une marchandise dans lequel sont inclus les frais de chargement dans le navire.


03/04/2008
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