Gouvernorat de la BCEAO : Justin Damo Barro victime d'arrangements politiciens
Par Ramata Soré
Principales décisions du sommet de l'UEMOA : la désignation du gouverneur de la BCEAO et celle du président de la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD). Depuis que Banny a été appelé au poste de Premier ministre en Côte d'Ivoire, la BCEAO vivait sous une gestion intérimaire. Même chose à la BOAD où les enjeux étaient cependant différents du fait que la BCEAO est une banque d'émission. Depuis la vacance de ces postes, une polémique s'était fait jour autour des prétendants. En ce qui concerne la BCEAO, il faut croire que Banny avait imaginé un instant qu'il y reviendrait s'il accomplissait avec brio sa messianique mission de sortir la Côte d'Ivoire de la crise. Mais les choses ont plutôt tourné court. Dès lors, il ne pouvait plus disposer des atouts escomptés pour son retour à Dakar. Il fallait maintenant trouver un nouveau gouverneur à la BCEAO. C'est en ce moment que les crispations ont commencé. La Côte d'Ivoire qui faisait de ce poste un droit naturel, s'est vu objecter que les textes de l'institution disposaient autrement. Il y est en effet inscrit le principe de la rotation à la tête de la BCEAO. Après avoir menacé de se retirer de l'institution si le poste de gouverneur lui échappait, Gbagbo a fini par mettre de l'eau dans son vin. Il a seulement demandé une faveur à ses pairs qui ont accepté. La rotation commencera donc à partir de maintenant avec la Côte d'Ivoire. A partir de là, le Bénin était aussi assuré d'adjuger le poste de président de la BOAD, profitant ainsi de la jurisprudence BCEAO. C'est donc le Béninois Abdoulaye Bio Tchané qui y a été installé.
Dans un entretien accordé à Fraternité Matin le 9 janvier dernier, Konan Banny apporte un éclairage sur l'histoire des nominations à la tête des deux institutions. Ainsi explique-t-il, au commencement, les chefs d'Etat décidèrent d'installer le siège de la BCEAO à Dakar au Sénégal et celui de la Boad à Lomé au Togo. C'est en ce moment qu'il a été convenu que le premier président de la BOAD serait le Burkinabè Pierre Claver Damiba. Dans la même foulée, un autre Burkinabè, Charles Bila Kaboré (le père de Roch Marc Christian, président de l'Assemblée nationale) est installé dans le fauteuil de vice-gouverneur de la BCEAO. Constatant que les choses ne semblaient pas plaire à Félix Houphouët Boigny, ses pairs lui demandèrent de désigner un Ivoirien pour occuper le poste de Gouverneur de la BCEAO. Et c'est feu Abdoulaye Fadiga qui avait alors été installé comme premier Gouverneur. Ce bel ordonnancement a été par la suite dénoncé plus tard et pour la première fois par le président Thomas Sankara. Mais ce " gentleman agreement " avait tout de même continué à fonctionner. Vingt ans plus tard, Sankara a fait des émules au Sénégal avec Gorgui, au Niger et au Mali.
Respecter à tout prix le principe de rotation
On se souvient qu'en 2007, concernant le poste de gouverneur, Laurent Gbagbo, dans une interview accordée à Jeune Afrique avait menacé de se retirer de la zone CFA et de créer sa propre monnaie si les autres chefs d'Etat s'opposaient à la désignation d'un Ivoirien comme gouverneur car, dit-il, c'est celui qui a le plus d'argent dans une banque qui la dirige. Oubliant que la question du gouvernorat est une affaire communautaire qui fonctionne sur la base du principe d'égalité en droits. La participation à hauteur de 40% de la Côte d'Ivoire au PIB très souvent invoqué comme un argument massu relève d'un principe de solidarité qui ne génère pas de droit régalien reconnu par les textes communautaires et qui s'impose donc à tous. La menace de Gbagbo semble donc relever plutôt d'un coup de sang que d'un droit violé. Il est donc heureux de constater qu'il est revenu à de meilleurs sentiments se contentant de demander à ses pairs leur compréhension en raison de la situation exceptionnelle dans laquelle se trouve son pays.
Le compromis de Ouagadougou ne porte donc pas sur la remise en cause du principe de la rotation.
Après le décès de Abdoulaye Fadiga, le 11 octobre 1988, le même Félix Houphouet Boigny avait désigné Alassane Dramane Ouattara le 28 octobre 1988. Charles Konan Banny lui succéda le 04 décembre 1990 comme intérimaire et comme titulaire à partir du 22 décembre 1993. Le 17 juin 1999, son mandat est renouvelé pour 6 ans, à compter du 1er janvier 2000. Il n'achèvera pas comme on le sait son mandat. C'est Justin Damo Barro, deuxième vice gouverneur qui assura son intérim jusqu'à ce 17 janvier. Mais avec lui, la tradition de confirmation des intérimaires a été rompue.
Damo Barro donné en offrande
Malgré le management assez réussi de Justin D. Barro qui lui a d'ailleurs valu des félicitations appuyées des chefs d'Etat, il a été sacrifié à l'autel des arrangements politiciens. Laurent Gbagbo ne serait donc pas venu au Burkina Faso 48 heures avant le début du sommet pour rien. En lâchant Justin Barro, Blaise a-t-il voulu par là consolider sa posture de facilitateur dans la crise ivoirienne ? Sans doute. Surtout que celle-ci lui ouvre le chemin vers le leadership sous-régional que certains le soupçonnent de convoiter. Le sacrifice du reste n'était pas bien douloureux d'autant que Justin Barro n'était pas candidat, même s'il aurait aimé être confirmé. En lâchant le morceau au profit de la Côte d'Ivoire, les choses ne furent pas pour autant aisées pour Gbagbo qui avait son candidat préféré. Faute de consensus autour de ce dernier, c'est un outsider Tabley-Dacoury qui a été retenu.
Né en 1948, Philippe Henri Tabley-Dacoury est un ancien cadre de la BCEAO, détaché à la BAD comme administrateur pour le compte de la Côte d'Ivoire.
Avec cette nomination, la connivence entre Blaise et Gbagbo s'est étalée au grand jour. Le président du Faso, Blaise Compaoré a été maintenu pour un second mandat à la tête de l'UEMOA et de la CEDEAO. On note que sa reconduction à la tête de la CEDEAO a été faite sur insistance de Laurent Gbagbo.
Selon Djibril Bassolet, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, il s'agit de permettre à Blaise Compaoré de poursuivre son œuvre de paix tant en Côte d'Ivoire qu'au Togo. Voilà qui est dit. Avec de telles pratiques, il n'est pas certain que le principe de la rotation dont l'application a été arrachée de haute lutte ne sera pas une fois de plus l'otage de circonstances exceptionnelles.
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Les pays membres de l'UEMOA
A ce 12e sommet de l'UEMOA, six chefs d'Etats et deux chefs de gouvernement étaient présents.
L'Union a été créée le 10 janvier 1994 par les Chefs d'Etat et de Gouvernement des sept pays de l'Afrique de l'Ouest ayant en commun l'usage du Franc CFA.
Ces pays sont : le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. La Guinée Bissau a été admise par la suite. C'est le 02 mai 1997 qu'elle adhère à l'Union. La BCEAO a été créé en 1962 et son siège est établi à Dakar au Sénégal. Elle détient le privilège exclusif de l'émission des signes monétaires pour le compte des huit pays membres de l'UEMOA.
R.S.