Terreur à Djaména : les populations se réfugient au Cameroun
Pris
dans les combats entre l'armée et les rebelles, les habitants de N'Djamena sont
en pleine détresse. Un envoyé spécial du quotidien camerounais Le Messager
raconte.
Nguéli
vit dans l'angoisse. Dans la cité quasi déserte, des habitants cherchent leur
famille. A la suite des ordres donnés par les insurgés et surtout par peur
d'être pris pour cibles par l'armée gouvernementale ou par les rebelles, les
habitants de Nguéli, une banlieue de N'Djamena, la capitale tchadienne,
semblent désormais presque tous partis. C'est comme si la vie y était désormais
interdite. Et pour cause : malgré l'annonce d'une accalmie à N'Djamena,
l'angoisse d'être traqué et tué hante les esprits – tout comme dans les autres
localités environnant le centre-ville, où les hommes du président Idriss Déby
Itno annoncent le retrait des rebelles qui, depuis quatre jours, pilonnent la
capitale et cherchent à renverser le pouvoir.
Lundi 4 février 2008, le pont sur le Logone, qui relie le Cameroun au Tchad,
ressemble à une ruche. Une immense foule de personnes déplacées – pour la
plupart des Tchadiens – a pris d'assaut l'imposant ouvrage. Bagages sur la
tête, sacs en bandoulière ou poussant une moto, chacun essaie de se frayer un
chemin. On se marche sur les pieds. Les forces de l'ordre, tant du côté
tchadien que camerounais, sont réduites à pousser des cris qui n'effraient
personne. Dans cette marée humaine mouvante, le reporter avance à une vitesse de
tortue. Il n'est pas tout à fait sûr d'arriver sauf. A certains moments, on a
l'impression que le gigantesque pont d'environ 500 mètres aurait besoin de
lâcher du lest. On entend des bruits sourds. La foi du charbonnier aidant, on
finit par fouler le sol tchadien. Le drapeau rouge-jaune-bleu du pays d'Idriss
Déby Itno flotte au vent. Les armes ont cessé de crépiter. Juste après le
poste-frontière, nous pénétrons à pas de chat dans Nguéli, la première localité
tchadienne avant le centre-ville de N'Djamena. Bien que la cité ait été
relativement épargnée par les bombardements, il n'y a pratiquement plus âme qui
vive dans les cases en terre battue jouxtant le fleuve. La plupart des
habitants se sont réfugiés à Kousseri [au Cameroun, de l'autre côté du Logone].
Pendant que des gens tentent de regagner leur domicile, d'autres s'apprêtent à
franchir le pont. "Nous sommes partis à Maroua [au Cameroun] jouer un
match amical contre Sahel, et à Garoua contre Cotonsport. Sur le chemin du
retour, à l'entrée de Kousseri, on nous a dit que ça n'allait pas dans notre
pays. On a dormi dans un petit coin. Je suis en train de chercher ma mère, je
ne l'ai pas encore vue", se lamente Wasseri, un étudiant de la capitale.
André G., cuisinier à N'Djamena, raconte que des gens sont venus cogner à sa
porte, lui demandant de partir. Tirant rageusement son gosse, Amina se réjouit
de l'arrêt des tirs à l'arme lourde. Elle a hâte de retrouver son domicile,
n'ayant pas les moyens de tenir à Kousseri.
Dans la moiteur de Nguéli, rien ne fonctionne normalement. Selon un habitant,
les télécommunications sont coupées depuis le début des hostilités. On ne peut
donc plus écouter la radio ni regarder la télévision. Encore moins joindre des
amis au téléphone. Des bidasses nous conseillent de battre en retraite à
Kousseri, car les bombardements vont reprendre. Les insurgés ont seulement
décidé de marquer une pause pour donner le temps aux populations civiles de
quitter la capitale tchadienne.
Repères
• L'offensive rebelle lancée sur N'Djamena a commencé le 31 janvier. Ce
jour-là, des rebelles tchadiens venus du Soudan arrivent non loin de la
capitale tchadienne, après avoir traversé tout le pays d'est en ouest. Le
lendemain commencent les affrontements. Le samedi 2, les rebelles entrent dans
N'Djamena après des heures d'affrontements avec l'armée. Dimanche, les combats
continuent dans la capitale, on entend des tirs de char autour de la
présidence, mais les rebelles finissent par se retirer de la capitale livrée
aux incendies et aux
pillages, opérant un repli
tactique. Le Tchad accuse le Soudan de soutenir les rebelles. Après une journée
de calme précaire, les rebelles acceptent, le mardi 5 février, le principe d'un
"cessez-le-feu immédiat", tout en accusant la France d'avoir "causé
d'énormes victimes civiles" dans la capitale lors d'une "intervention
directe" de son aviation. Paris dément toute participation aux combats,
mais réaffirme clairement son soutien au président Déby.
• La France dispose en permanence d'un millier d'hommes au Tchad, dans le cadre
du dispositif Epervier. Elle souhaite d'autant moins les engager dans une
bataille contre les rebelles tchadiens qu'elle doit diriger le déploiement de
la force européenne EUFOR dans l'est du Tchad, pour protéger les camps de
réfugiés du Darfour.
• Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), 15 000
à 20 000 Tchadiens se sont réfugiés au Cameroun ces derniers jours ; 3 000
autres se seraient réfugiés au Nigeria, selon des responsables nigérians de
l'immigration.
• Les combats à N'Djamena auraient fait au moins un millier de blessés. Le
Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ne se prononce pas sur le nombre
de morts.
• La maîtrise des ressources pétrolières du pays, dont les revenus sont très
mal partagés, constitue l'un des enjeux sous-jacents du conflit.
Georges-Alain Boyomo
Le
Messager