Génocide au Rwanda : Paris doit reconnaître ses erreurs
Les
autorités françaises jugent "insupportables" les accusations
contenues dans un rapport rwandais publié le 6 août qui reproche à la
France d'avoir participé au génocide de 1994. Le quotidien britannique Financial
Times attend une autre attitude de la part de Paris.
Le Rwanda vient de publier le compte rendu le plus
détaillé jamais rédigé sur le rôle de la France dans le génocide de 1994.
Le rapport rendu public à Kigali est le fruit de quatre ans d'enquête. Il met
en cause de hauts responsables des hiérarchies politique et militaire
françaises, dont François Mitterrand, alors président de la République, son
fils Jean-Christophe, deux anciens Premiers ministres et toute une série
d'officiers de l'armée.
Certaines des accusations sont inédites. D'autres sont portées depuis
longtemps. Mais, selon la plus grave, Paris a fourni une protection
diplomatique, une formation militaire et des armes aux extrémistes hutus
responsables du massacre de 1 million de Tutsis et de Hutus modérés. De
nouveaux détails sont apportés sur la formation assurée par des officiers français
auprès d'unités de défense civile qui devaient devenir par la suite les
Interahamwes, milices responsables de la plupart des assassinats. D'après le
rapport rwandais, Paris aurait fourni des armes bien après le début des
atrocités et certains représentants français auraient même participé
directement à des crimes de guerre. Si des preuves irréfutables sont apportées,
ils doivent en répondre devant la justice.
Washington, Londres, les Nations unies et d'autres membres de la communauté
internationale sont coupables d'avoir laissé s'écrire le chapitre le plus
sanglant de l'histoire moderne de l'Afrique. Mais Paris fait face à une
accusation bien plus lourde : celle d'avoir participé activement à sa
rédaction. Comme on pouvait s'y attendre, les Français ont réagi à la
publication du rapport rwandais en dénonçant des accusations
"inacceptables" et en mettant en cause l'indépendance de la
commission nommée par le gouvernement de Kigali pour mener l'enquête.
Le rapport n'est peut-être pas dépourvu de propagande et d'exagérations ;
la thèse qui voudrait que des officiers français aient participé en
connaissance de cause aux préparatifs du génocide pourrait ne pas résister à un
examen approfondi.
Mais le Rwanda porte aussi une accusation fondée : la France a laissé se créer
des conditions favorables au génocide en soutenant un régime ami alors même
qu'il se rendait coupable de crimes de guerre. Paris n'a toujours pas reconnu
ses erreurs ni présenté la moindre forme d'excuse au Rwanda, ce qui suscite une
profonde rancœur chez les survivants des massacres.
Cela explique aussi pourquoi Kigali a jugé nécessaire de coucher sur le papier
sa propre version des événements. C'est la période la plus sombre des relations
de la France avec ses satellites de l'Afrique francophone. Le président Nicolas
Sarkozy le reconnaît du bout des lèvres, mais il doit en faire davantage.
Nombre de grandes figures politiques françaises critiquent ouvertement la
Turquie parce qu'elle refuse de se pencher sur le massacre des Arméniens pendant
l'effondrement de l'Empire ottoman pour déterminer s'il s'agissait ou non d'un
génocide. Argument dont ils se servent pour motiver le refus d'intégrer Ankara
dans l'Union européenne. La France ferait mieux de balayer devant sa porte en
se penchant sur la question du génocide rwandais.
Editorial
Financial
Times