FRANCE : Un président plus pompier qu'architecte
Sans son extraordinaire pragmatisme, Nicolas Sarkozy n'aurait pu gérer les crises à répétition. Mais il est loin d'avoir atteint ses objectifs européens. Et l'axe Paris-Berlin en a pris un sérieux coup.
Nicolas Sarkozy a de la volonté. Mais a-t-il une idée de ce à quoi le monde devra ressembler après la crise financière ? Comment la France et l'Europe, qui se dirigent vers une récession, pourront-elles se défaire de la dépression sociale qui va avec ? Quelle direction l'Union européenne (UE) doit-elle prendre pour répondre avec succès aux défis de l'avenir ?
La volonté et l'énergie de Sarkozy, son don pour l'improvisation et son pragmatisme, ont largement aidé l'Europe à se défendre correctement lors des difficultés qu'elle a dû – et doit encore – surmonter pendant sa présidence, de la crise géorgienne à la gestion des turbulences financières. Devant de telles convulsions, ce n'est pas vraiment un drame qu'on n'entende pratiquement plus parler du programme que la France voulait appliquer à l'Europe pendant sa présidence. La réponse à la "question irlandaise" – urgentissime jusqu'il y a peu, car pierre d'achoppement du traité de Lisbonne – a été repoussée au prochain semestre ; en matière de politique agricole et d'immigration, il n'y a que de petites réformes en vue ; la nouvelle impulsion que Sarkozy comptait donner à la politique de sécurité et de défense européenne s'est perdue dans les sables ; la lutte contre le réchauffement climatique se heurte aux dures réalités de la récession économique. L'ouragan "Crise financière" a bouleversé l'agenda de l'UE.
La gestion de la crise a provoqué la constitution de formations ad hoc, qui posent peut-être des jalons pour l'avenir. La Grande-Bretagne est devenue, de manière informelle, le seizième pays à rejoindre l'Eurogroupe. Ce qui, accessoirement, a déclenché un remaniement des partenariats : Londres et Paris ont donné le ton, Berlin a hésité puis suivi le mouvement. La Banque centrale européenne, qui veillait auparavant à garder ses distances avec la politique, s'est retrouvée tout d'un coup codécideur au milieu de la mêlée politique. Est-ce la préfiguration du gouvernement économique européen que la France réclame depuis longtemps, ou une exception provoquée par la crise ? Là est la question. Sarkozy entend manifestement profiter de l'occasion pour redonner vie à une autre idée française, à savoir la mise sur pied d'un gouvernement plus stable au sein de l'UE, ce qui reviendrait de fait à créer un directoire des plus grands Etats membres, dont la composition pourrait varier en fonction de la situation. Cette idée était déjà à la base du projet originel d'Union pour la Méditerranée de Sarkozy, elle revient aujourd'hui sous la forme d'un gouvernement économique composé des grands Etats de la zone euro plus la Grande-Bretagne. Il va de soi pour Sarkozy que la France doit en tout état de cause y jouer un rôle central – c'est l'axiome fondamental.
Un risque d'accident grave
Ce serait cependant une erreur de supposer que toutes ces idées sont inspirées par un concept d'ensemble. Sarkozy est un pragmatique pur et dur, il apprécie ses succès au quotidien et ne se casse pas la tête pour savoir ce qu'il en restera à la fin de l'année. Il semble parfois prendre même plaisir à expliquer aux gens pourquoi il doit faire aujourd'hui le contraire de ce qu'il avait promis la veille ou pourquoi une règle qui était valable hier ne l'est plus aujourd'hui. Quand on a suivi son parcours politique dans l'Hexagone – depuis le début de sa présidence mais aussi au cours de ses précédentes fonctions –, on comprend que sa capacité à imposer ses idées est la résultante de cette souplesse et de cette adaptabilité. Sarkozy est un pompier exemplaire, pas un architecte.
La légèreté de ce style de politique forme un contraste saisissant avec la culture politique allemande, qui – ne serait-ce que parce qu'elle est tenue de rechercher le consensus au sein de la coalition ou entre l'Etat fédéral et les Länder – repose toujours sur des principes, quitte à en adopter de nouveaux quand on est contraint de jeter les anciens par-dessus bord. Il n'est donc pas étonnant qu'il y ait eu des tensions et des frictions entre Berlin et Paris depuis l'arrivée au pouvoir de Sarkozy. Les Français considèrent l'attitude allemande comme de l'immobilisme ou de l'entêtement ; la classe politique allemande, dont le mantra est "prévisibilité", n'arrive pas vraiment à comprendre que Sarkozy (comme Bernard Kouchner, son ministre des Affaires étrangères) produise sans cesse de nouvelles idées, dont on ne sait pas très bien si elles sont sérieuses ou pas.
Les consultations bilatérales, devenues un rituel souvent expédié à la hâte, ne sortiront pas les relations franco-allemandes de ce schéma d'improvisation. Les gouvernants à Paris et à Berlin devraient se programmer un week-end de retraite pour réfléchir au rôle que leur "axe" peut et doit encore jouer pour l'Europe. Ils ont le devoir d'être aussi fiables que la Deutsche Bahn : si on ne répare pas les petites fissures à temps, on risque un accident grave.
Günther Nonnenmacher