Forum social du Burkina : Une autre organisation est possible
La deuxième édition du
Forum social du Burkina s'est tenue du 27 au 29 mars à Ouahigouya, chef-lieu de
la région du Nord. Des centaines d'altermondialistes ont fait le déplacement
dans cette ville réputée pour la dureté de son climat et le courage de ses
habitants. Si les débats ont été très riches et animés, l'organisation restait,
elle, à désirer.
Samedi 29 mars. Il est
16h. Nous sommes dans la cour de l'école Dindélin où s'est déroulé l'essentiel
des travaux du forum. La cérémonie de clôture du forum a pris fin il y a de
cela 4h. Le départ des participants était prévu pour 14h, juste après le
déjeuner. En principe, à 15h, la plupart des participants devraient être
partis. Effectivement, à cette heure, plusieurs délégations avaient déjà quitté
la ville. Il reste les participants venus de Ouagadougou et la délégation
togolaise. Ils attendent depuis deux heures leur départ. Le car de l'archevêché
qui les a transportés dans la cité de naaba Kango a percuté la veille un poteau
électrique et se trouve immobilisé à la police. Il ne reste plus qu'un mini car
pour ramener la quarantaine de personnes. Il appartient à l'ISSP de
l'Université de Ouagadougou. Il ne peut prendre qu'une vingtaine de passagers.
La solution trouvée par les organisateurs, c'est de payer des tickets pour la
moitié de gens dans une gare de la place. C'est quand ceux-ci étaient dans le
mini car pour la gare que les gendarmes sont arrivés. Ils ont demandé au
chauffeur de descendre. Ils l'ont conduit à leur poste de surveillance situé à
quelques mètres, dans la cour de l'école. On lui signifie que le car ne peut
bouger car il y a certains frais qui n'ont pas été honorés par les
organisateurs. C'est le commandant de la gendarmerie de Ouahigouya lui-même qui
aurait ordonné l'immobilisation du car. Ils ont libéré le chauffeur qui est
réparti demander à ses passagers de descendre, car le départ n'est pas pour
bientôt. Il était presque 17h. Les organisateurs restés sur place couraient
alors de gauche à droite pour débloquer la situation et permettre aux gens de
regagner Ouagadougou. Les gendarmes ont bloqué également les clés du Centre de
formation professionnelle de Ouahigouya (CFPO) qui héberge une partie des
organisateurs. Ceux-ci ne pouvaient donc plus avoir accès à leurs matériels
qu'ils devaient ramener à Ouaga. Qui appeler au secours ? Le président du
comité national d'organisation, Pierre Nacoulima était injoignable. Il a quitté
Ouahigouya depuis 15h pour la capitale. Depuis lors, ses camarades de
l'organisation tentent de le joindre en vain. En effet, c'est tout fâché qu'il
a quitté la ville. Depuis le début du forum, il est à couteaux tirés avec le
président du comité local d'organisation, Amidou Ouattara. Renseignements pris,
il s'avère que c'est Ouattara qui a demandé à la gendarmerie de bloquer le mini
car et le matériel. Il explique qu'il y a des dépenses qui n'auraient pas été
honorées auprès de certains fournisseurs et des frais de location et services.
Il serait harcelé par ces derniers depuis la matinée et Pierre Nacoulima n'a
rien voulu comprendre. Le forum ne lui a remis aucun kopeck pour régler toutes
les dépenses engagées. Comme c'est son nom qui figure sur les contrats, il
craint qu'après le départ des participants, il se retrouve seul face à ses
prestataires. La quarantaine de personnes se retrouvaient ainsi pris en otage.
Pire, on ne leur dit rien. On tente de leur cacher ce qui se passe. Il faut se
débrouiller pour avoir l'information. Même dans des cas sérieux de prise
d'otages, ceux-ci sont informés par leurs ravisseurs de leur situation. Les
otages de Ouahigouya n'avaient pas ce privilège. Certains organisateurs ont
réussi à s'extirper, les abandonnant avec les jeunes membres du comité face à
Ouattara et à ses forces de l'ordre. Cette comédie ubuesque a duré jusqu'à 21h.
Les organisateurs vont se résoudre à louer un car pour ramener ceux qui ont eu
la malchance de venir avec les membres du comité de Ouaga. On ignore ce qui
s'est passé entre temps pour que l'autorisation soit enfin donnée de laisser
partir le mini car. C'est ainsi qu'ils ont pu regagner la capitale tard la
nuit.
Quand un général abandonne
sa troupe
L'attitude du président du comité national d'organisation, Pierre Nacoulima, a
été décriée par tout le monde. Non seulement, il s'éclipse sans crier gare,
mais il se permet de couper toute communication en fermant son cellulaire. Une
attitude que certains mettent sur le compte du mépris à leur égard. C'est tout
au moins une fuite de responsabilité de sa part. Un général qui abandonne sa
troupe mérite-t-il encore ses galons ? C'est la question que se sont posées bon
nombre de personnes. Le comportement de Nacoulima vient atténuer le
comportement inqualifiable du président du comité local, Amidou Ouattara. Ayant
démarché lui-même pour être à la tête du comité, il s'est contenté d'assurer le
service minimum tout au long du forum. D'abord il se fait attendre même par les
officiels invités à la cérémonie d'ouverture. Le gouverneur est arrivé avant
lui au lieu de la cérémonie. Il était injoignable et n'a pas daigné appeler pour
prévenir de son retard. C'est lui qui aurait donc causé le grand retard
constaté lors de l'ouverture. Pendant le forum, la plupart des éléments de son
comité ont brillé par leur absence. Les femmes commises à la restauration ont
littéralement déserté leur commission sous le prétexte que l'argent est géré
par leurs camarades venues de Ouaga.
Pilotage solitaire du
président local
Aucun travail sérieux n'a été fait avant le forum. Le président du comité local
n'a pas travaillé à rassembler les autres acteurs de la société civile du Nord.
" La faute revient aux responsables de Ouaga. Quand on veut organiser une
telle rencontre, il faut avoir une approche plus participative dans le choix
des membres du comité d'organisation local. Il fallait faire des communiqués
dans la presse invitant toutes les structures à la mise en place du
comité", soutient Etienne B. Ouédraogo du Mouvement pour la promotion de
la dignité. Tasséré Savadogo, coordonnateur des organisations de la société
civile du Nord affirme n'avoir pas été associé non plus. Cela a conduit à un
quasi boycott du forum par les nombreuses organisations de la société civile de
la ville. Si fait que la plupart des habitants de Ouahigouya ignoraient la
tenue du forum chez eux. Les médias locaux ont été peu mis à contribution avant
et pendant le forum. Ce volet qui fait le succès des forums des autres pays a
été négligé par les organisateurs de Ouaga comme de Ouahigouya.
Entre les commissions, il y avait énormément de dysfonctionnements. La dernière
journée a été la plus éprouvante. Le programme de la journée n'est pas très
chargé comme les deux précédents jours. Une marche, des rencontres paysannes et
de femmes sont au programme avant la clôture officielle du Forum prévue pour
12h. Mais ce programme reste indicatif. Il ne sera pas du tout respecté.
D'abord la marche a débuté avec une heure de retard et sans une bonne partie
des participants au forum. Hébergés sur trois sites différents, les
participants n'ont pu se retrouver à la même heure pour la marche. La faute
revient aux deux commissions hébergement et transport qui n'ont pu coordonner
le déplacement des gens sur le site du départ de la marche. C'est donc un petit
monde qui a arpenté quelques artères de la ville. On aurait espéré mieux d'un
forum social qui est à sa deuxième édition et tenue dans une importante ville
comme celle de Ouahigouya. Le pari de l'organisation reste à gagner. Comme les
altermondialistes eux-mêmes le disent et le réclament " un autre monde est
possible ", on pourrait dire du forum du Burkina qu'une autre organisation
est possible et souhaitable.