ÉTATS-UNIS • Tout le monde aime Lincoln

Il y a deux cents ans naissait celui que beaucoup considèrent encore aujourd'hui comme le plus grand des présidents américains. Barack Obama l'a bien compris et se réclame de son héritage.

Ses vêtements tachés de sang, son chapeau haut de forme et ses bottes en peau de chèvre ont été conservés. Le lit et le matelas sur lequel il est mort ont été préservés, de même que les objets qu'il portait sur lui la nuit où il a été assassiné. Même la balle qui l'a tué a été sauvegardée. Après sa mort, son corps a été exposé dans tout le pays afin que chacun puisse le voir une dernière fois. Quelques décennies plus tard, il a été exhumé et son cercueil a été rouvert pour vérifier qu'il était toujours là. A l'heure où Washington se prépare à célébrer le 200e anniversaire de sa naissance, Abraham Lincoln est toujours vénéré comme un saint, mi-homme, mi-légende.

La moindre de ses reliques est sacrée. Tout ce qu'il a dit ou écrit est respecté. Mais l'homme demeure un mystère. "Il est à la fois proche et inaccessible", explique l'historien Harold Holzer. Alors que l'esclavage lui faisait horreur, il se disait prêt à le maintenir pour sauver l'Union. Il parlait souvent de religion, mais n'en a jamais embrassé aucune. Au sommet de sa gloire, il a été assassiné et réduit au silence à jamais. "Il nous force à apprendre toujours plus, mais il y a constamment quelque chose qui nous échappe", poursuit Harold Holzer. De là naît toute l'obsession d'un peuple pour ce président martyr, considéré par les historiens comme l'archétype du citoyen américain.

Lincoln est né dans l'Amérique profonde, près d'Hodgenville, dans le Kentucky, et il a forgé sa propre éducation à la lueur de la bougie. Destiné à sauver l'Union et abolir l'esclavage, il fut exécuté la nuit du vendredi saint, en 1865. Le 12 février, des cérémonies commémorant le 200e anniversaire de sa naissance auront lieu au Lincoln Memorial, à Washington. Le théâtre Ford, où Lincoln a été assassiné le 14 avril 1865 par le comédien John Wilkes Booth, organise un gala pour célébrer la réouverture du lieu après un programme de rénovation de plusieurs millions de dollars. Le Congrès lui rendra également hommage sous la rotonde du Capitole, où sa dépouille avait été exposée, il y a cent quarante-quatre ans, sur un autel en pin, également conservé. Deux siècles après sa naissance, les traces de son existence sont partout.
Louise Taper, célèbre collectionneuse de Californie, a récemment vendu une partie de ses acquisitions au profit du musée Abraham Lincoln de Springfield, dans l'Illinois, pour une somme estimée à 20 millions de dollars [15,5 millions d'euros]. "Il m'en reste encore des tonnes. Il y a quelque chose de magique chez cet homme. Je suis complètement obsédée", reconnaît-elle. La fascination des Américains pour ce grand homme est telle que, selon la commission du bicentenaire d'Abraham Lincoln, près de 16 000 ouvrages lui auraient été consacrés depuis 1865. Barack Obama n'y échappe pas. C'est sur la bible de Lincoln qu'il a prêté serment le 20 janvier et il a littéralement marché sur les traces de son auguste prédécesseur en refaisant une partie du trajet qui mena Lincoln à Washington en 1861.

"Nous nous raccrochons – et nous identifions – à cette histoire de rédemption, estime Harold Holzer. C'est la cristallisation du rêve américain qui le rend si fascinant." Il y a bien sûr quelques ombres au tableau. Certains critiques affirment que la guerre de Sécession et toutes les destructions qu'elle a entraînées auraient pu être évitées. D'autres reprochent à Lincoln de n'avoir aboli l'esclavage que dans une partie du pays. Sans oublier ceux qui estiment qu'il est allé trop loin pour faire taire ses opposants dans le Nord. Malgré tout, deux siècles après sa naissance, presque cent cinquante ans après sa mort et vingt-six présidents plus tard, aucun ne semble pouvoir se mesurer à Lincoln.

Il est "sans conteste" le plus grand président de l'histoire des Etats-Unis, affirme Harold Holzer, et "cela se vérifie dans tous les sondages menés auprès des historiens ou des citoyens ordinaires. Confronté au plus grand des défis, il l'a relevé puis a triomphé." L'homme n'avait pourtant pas l'allure d'un héros. Il mesurait environ 1,93 mètre, il avait les cheveux noirs et épais, un grand nez, d'énormes oreilles et la légende veut qu'il se soit laissé pousser la barbe après qu'une petite fille lui eut écrit qu'il serait plus beau ainsi.

 http://www.courrierinternational.com/article.asp?obj_id=94598

Michael Ruane, The Washington Post



18/02/2009
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