Côte d'Ivoire : Sur quoi compte Gbagbo ?
Gbagbo entame son troisième mois de résistance après qu'il ait perdu les élections. Il a réussi à diviser les Africains sur la crise ivoirienne. La CEDEAO reste encore globalement maître du dossier, mais l'UA est totalement divisée. A l'intérieur, s'il a toujours la maîtrise de l'appareil sécuritaire, sa situation économique se dégrade à vue d'œil, mais il n'en démord pas pour autant. Qu'est-ce qui le fait tenir ?
Gbagbo a sans doute compris une chose. En maîtrisant relativement bien le front intérieur et avec beaucoup d'argent, on arrive à trouver des interlocuteurs pour tout. L'armée ivoirienne n'existait pas vraiment au temps de Houphouët. Depuis 2002, il s'est constitué des prétoriens totalement acquis en éliminant progressivement et radicalement ceux en qui il n'avait pas aveuglément confiance. Le général Doué en a fait les frais sans rien comprendre. Lui et le porte-parole de l'armée, en son temps, un certain colonel Yao, celui qui a inventé le slogan " haut les coeurs " pour galvaniser les FANCI contre les rebelles en 2002 ont proprement été chassés.
Le général Mangou, l'actuel chef d'Etat-major, est une belle marionnette sans réel pouvoir. Quelques mois avant la présidentielle, il est passé très près de la radiation. Il a sauvé sa tête après d'humiliantes séances de renouvellement d'allégeance. Certains responsables des Forces nouvelles qui ont suivi et à qui il s'en était ouvert-(dans le cadre du commandement intégré) parlent de séances de " sanctification " en présence de pasteurs. Il s'ensuit que 60 jours après, excepté l'incident de Abobo et d'Anyama qui n'est pas encore bien élucidé, le front militaire est très bien tenu. A Abidjan, en tenant fermement les lieux essentiels du pouvoir, la RTI, l'aéroport et les Casernes, Gbagbo donne l'impression d'avoir toute la Côte d'Ivoire sous contrôle. Il fait oublier qu'une bonne partie du pays lui échappe, que les administrations ne fonctionnent pas. La Côte d'Ivoire est réduite à l'enclave abidjanaise que personne ne veut abandonner à l'autre. Alassane Ouattara aurait pu s'installer tranquillement à Yamoussoukro, où il aurait eu plus de liberté de manœuvre. Seulement il pense que ce faisant, il consacre la partition définitive du pays. Ce dont il se refuse et qui par contre satisfait son rival. Cette cohabitation à Abidjan fait pour l'instant les affaires de Gbagbo. Alassane Ouattara en restant au Golf hôtel, le fait sans doute avec le conseil de ses stratèges. Mais s'il était à Yamoussoukro et avec l'appui déterminé des Forces nouvelle, les choses ne se seraient-elles pas présentées autrement ? Le soutien des Forces nouvelles n'est pas suffisamment mis en valeur et il ne pèse pas dans les pourparlers en cours. Alors que le fait de tenir Abidjan permet à Gbagbo d'influencer les visiteurs. Alassane Ouattara ne peut inviter personne à lui rendre visite. Ce que fait quotidiennement Gbagbo. C'est un gros handicap dans le bras de fer actuel. Et puis cette situation de confinement au Golf Hôtel empêche sérieusement les ralliements et les déterminations. Ceux qui sont pour lui, que peuvent-ils faire ? Qui peut les protéger ? S'il avait son fief à lui, les choses se seraient présentées autrement. Les ralliés auraient été en sécurité et auraient été assurés de bénéficier d'un revenu. Dans la situation actuelle, les partisans sont obligés de faire profil bas pour leur sécurité et pour leur salaire. Il faut bien vivre en attendant le jour où Alassane aura la plénitude du pouvoir…
La souffrance des Abidjanais
Abidjan vit un véritable drame depuis mi décembre. Les populations impuissantes assistent chaque jour à la flambée des prix. Un oignon coûte
Les difficultés financières de Gbagbo sont aujourd'hui réelles. Il n'a pas pu payer tous les fonctionnaires en fin janvier. Les militaires ont été payés, mais pas les enseignants et les retraités. La réquisition de l'agence ivoirienne de la BCEAO ne lui aurait finalement rapporté que peu d'argent. Il espérait mettre la main sur 268 milliards de francs cfa, de quoi voir venir, et il s'est retrouvé avec seulement 8 milliards. Selon des informations données par notre confrère Jeune Afrique, les codes d'accès aux coffres sont gérés depuis Dakar et sont quotidiennement changés. Le président sortant serait donc aujourd'hui pris à la gorge. De plus, l'économie ivoirienne pourrait manquer dans les jours à venir de liquidités et le système bancaire va se bloquer avec des banques qui vont fermer. Soro a déjà mis en garde les banques qui ne respecteraient pas les directives de la BCEAO. Elles seront mises en " faillites " dès que Ouattara aura recouvré la plénitude de son pouvoir.
La situation des Abidjanais est allée pour se dégrader encore plus. La désorganisation de l'économie et la raréfaction de la liquidité vont rendre Abidjan invivable. L'heure est à l'économie. En d'autre temps, Gbagbo aurait été plus généreux avec les familles des 32 soldats tués à Abobo, dans des circonstances non encore élucidées et dont il a tenu à honorer pompeusement la mémoire à l'état major des FDS, le vendredi 4 février dernier. A chaque famille de militaire tué, il a fait remettre seulement cinq millions de francs cfa. Ce qui n'est rien en comparaison des sacrifices qu'ils ont consenti pour son pouvoir. La promotion posthume au grade élevé n'a de sens que si Gbagbo se maintient au pouvoir. Elle peut être refusée par le gouvernement Alassane Ouattara. Les bénéfices attendus sur la pension sont donc une chimère.
Continuer à s'agiter pour faire illusion
Les têtes brûlées du régime Gbagbo continuent à s'exciter pour donner l'illusion que tout va bien. Mais le gouvernement atrophié de Gbagbo n'a pas de prise sur la réalité. Tout se passe en dehors du gouvernement. Gbagbo donne la nette impression d'avoir bien organisé la défense de sa cause. La ligne de front est toujours assurée par Blé Goudé soutenu à l'occasion par Simone. Les deux ont organisé un rassemblement sous la protection des militaires loyaux pour s'en prendre à Blaise Compaoré, un des cinq chefs d'Etat du panel de l'UA chargé de trouver des solutions "contraignantes" pour résoudre définitivement la crise ivoirienne en "permettant à Alassane Ouattara, président élu, d'exercer effectivement le pouvoir", selon Jean Ping. Avec une telle feuille de route, la marge de manœuvre du panel est bien mince. Même si un passage de la résolution en mentionnant "des résultats contraignants pour les deux parties" laisse dubitatif. Sauf à imaginer que les circonstances d'étranglement financier actuel de Gbagbo servent le Panel. Ce qui est moins probant, puisque Gbagbo et les siens sont convaincus que l'étranglement financier conduirait les Ivoiriens à s'en prendre plutôt à Ouattara, la cause de leur malheur. Avec un tel esprit, il ne faut rien attendre de Gbagbo. Dans cette affaire là, il est allé trop loin pour accepter une solution médiane. Soit il est reconnu président ou c'est " rien ", comme l'indiquait clairement une des banderoles du rassemblement anti Blaise Compaoré de Blé Goudé. NAB