Comment Hillary pourrait perdre

 Au moment où le pays aspire au changement, Hillary Clinton a choisi de se positionner comme la candidate de l'expérience. Une erreur stratégique qui pourrait bien la faire trébucher lors de la primaire du New Hampshire et au-delà.

La victoire de Barack Obama aux caucus de l'Iowa a fait de cette course à la Maison-Blanche la plus enthousiasmante depuis près d'une génération. Elle l'a catapulté devant la redoutable Hillary Clinton, à qui il a ravi la place de favori pour l'investiture de son parti, dans une élection où les démocrates semblent promis à la victoire.

Presque tout au long de l'année dernière, Hillary Clinton était donnée gagnante de l'investiture démocrate. Au mois d'octobre, elle n'avait pas moins de 30 points d'avance dans les sondages nationaux sur Barack Obama, l'étoile montante. Toute sa campagne a été construite sur ce potentiel d'invincibilité. Mais l'Iowa a changé la donne : la stratégie de ses conseillers, l'incitant à sans cesse se prévaloir de son expérience, n'aura peut-être été qu'une énorme bourde.
"Prête à prendre la tête", tel est le slogan d'Hillary Clinton, qui mettait en avant ses huit années en tant que première dame, au plus près du centre névralgique du pouvoir, ainsi que son bilan de sénatrice de l'Etat de New York depuis 2001. Dans d'autres circonstances, cela aurait pu être l'argumentaire idéal – mais pas au cours de cette campagne, si étrange et déroutante, pour l'élection de 2008.
Aucune élection présidentielle ne ressemble à une autre. Tantôt, les électeurs misent sur l'expérience. Tantôt, ils cherchent un leader fort voire un héros. Parfois, ils veulent juste un type sympa. Mais, de temps en temps, les Etats-Unis veulent quelqu'un de stimulant, quelqu'un qui leur redonne espoir, qui les rassure. Ils en ont bien besoin aujourd'hui : la présidence de Bush est un échec, les Etats-Unis ont perdu de leur prestige et la récession menace. Et cet individu stimulant, exaltant, que les Américains appellent de leurs vœux, ressemble trait pour trait à Barack Obama.

Son retour en force depuis la fin de l'automne arrive à point nommé. Dans les trente jours qui viennent, pas moins de 30 Etats vont organiser des primaires et des caucus. L'élan décisif – ce mélange de bons résultats, de gros titres flatteurs et de bouche-à-oreille – est toujours précieux dans un paysage électoral aussi vaste que celui des Etats-Unis. Mais il n'a jamais été aussi utile que cette année, où les candidats ont si peu de temps pour corriger leurs erreurs et renverser les perceptions de l'électorat. Tel est le problème auquel est confrontée Hillary Clinton. Après l'Iowa, ce sera le New Hampshire, puis le Michigan, et avant la fin du mois, la Caroline du Sud, où les électeurs noirs joueront pour la première fois un rôle important. Ensuite, ce sera au tour de la Floride.

Mais le grand jour, à proprement parler, sera le 5 février, date à laquelle vont avoir lieu les primaires et les caucus d'une vingtaine d'Etats, notamment ces géants que sont la Californie, l'Etat de New York et l'Illinois. Les résultats de cette journée pourraient bel et bien décider de l'issue de la course à l'investiture du Parti démocrate. Hillary Clinton dispose d'un énorme appareil de campagne à l'échelle nationale. Mais cela ne suffira peut-être pas à compenser une défaite démoralisante dans le New Hampshire, ainsi qu'en Caroline du Sud, où Barack Obama commence à rallier les voix des électeurs Noirs, qui autrefois étaient fidèles aux Clinton.

Certes, rien n'est encore joué. Pour l'instant Barack Obama, avec son talent oratoire, son parcours personnel et son message de changement, a le vent en poupe. Même parmi les femmes, il a engrangé davantage de voix qu'Hillary Clinton dans l'Iowa. Les indépendants votent pour lui en grand nombre, notamment parce qu'il est perçu comme étant plus rassembleur que sa rivale. Fait non moins important, il attire les jeunes.

Mais maintenant qu'il est favori pour l'investiture, sa biographie et sa vie privée vont être passées au peigne fin. Et qui sait si l'on ne va pas finir par exhumer un squelette de sa vie passée. Il ne faut pas sous-estimer la puissance de la machine Clinton ou la capacité qu'a toujours eue cette famille à rebondir. Mais le combat s'annonce rude. Les scandales n'ont apparemment pas autant d'impact qu'autrefois et qui voudrait couler le rêve américain tel qu'il est incarné par Obama ? Enfin Hillary Clinton n'est pas aussi brillante à la tribune que son mari.
Son problème fondamental est de concilier expérience et changement. Son discours après les résultats de l'Iowa en est la parfaite illustration. Le mot "changement" apparaissait à chaque phrase. Cependant, elle était flanquée de son mari et de gens comme l'ancienne secrétaire d'Etat Madeleine Albright et d'autres anciens membres de l'administration Clinton. "Un pont vers le XXe siècle", a plaisanté un observateur, détournant le slogan de la campagne de Bill Clinton de 1996 ("un pont vers le XXIe siècle"). Tout cela avait des relents de restauration, alors même que le pays aspire à la nouveauté, au changement. A l'heure qu'il est, le pont vers l'avenir des Etats-Unis ressemble plutôt à Barack Obama qu'à Hillary Clinton.

Rupert Cornwell

The Independent on Sunday



08/01/2008
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