Colombie :détails embarrassants sur la libération des otages
La
libération d'Ingrid Betancourt et de 14 otages a constitué un succès
retentissant pour le gouvernement colombien. Mais la diffusion de certaines
images de l'opération militaire réalisée le 2 juillet met en difficulté
Bogotá.
La vidéo de l'opération Jaque ["échec",
comme dans "échec et mat", nom de code donné à l'opération militaire
qui a abouti notamment à la libération d'Ingrid Betancourt] diffusée par la
chaîne colombienne RCN ouvre le débat sur l'exploitation des informations
officielles par les médias et sur leur véracité.
Le 4 août, le journal télévisé de la chaîne de télévision RCN a diffusé en exclusivité un long reportage sur l'opération
Jaque qui, contrairement à l'enregistrement officiel rendu public il y a un
mois par le ministère de la Défense, montre étape par étape, sur la vidéo et
sur les photos, les détails de la préparation de cette opération réussie qui a
abouti à la libération de quinze otages des FARC et à la capture de deux de
leurs geôliers.
Le problème pour le gouvernement est que cette vidéo révèle plusieurs
incohérences de la version officielle. Quelques jours après l'opération, alors
que l'euphorie internationale se dissipait, la chaîne d'information CNN avait
diffusé un extrait de la vidéo montrant clairement l'un des soldats portant
l'emblème du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) : une
infraction au droit international humanitaire avait alors été dénoncée.
Quelques heures plus tard, le président Alvaro Uribe avait reconnu que le logo
du CICR avait bien été utilisé, mais qu'il s'agissait d'une bévue de la part
d'un officier apeuré. "Un officier, de façon fautive et en infraction avec
les ordres donnés, a reconnu, pris de nervosité en voyant le nombre de
guérilleros armés autour de l'hélicoptère, avoir mis sur sa veste un morceau de
tissu portant l'insigne du Comité international de la Croix-Rouge", avait
expliqué Uribe.
Mais la vidéo intégrale diffusée par le journal de RCN met le président en
porte-à-faux. Car le militaire en question arbore l'emblème du CICR tout au
long de l'opération, au vu de tous et sans que personne ne lui ordonne de
l'enlever.
"Comme l'a précisé monsieur le président, nous déplorons absolument
l'utilisation de ce logo, qui va à l'encontre des instructions données, a
rappelé le ministre de la Défense, Juan Manuel Santos, le 5 août.
"Nous présentons de nouveau nos excuses. La vidéo de RCN démontre que les
choses se sont passées autrement, que l'insigne du CICR a été utilisé dès le
début de l'opération, nous regrettons que cela se soit passé ainsi, mais nous,
au gouvernement, avons dit la vérité telle que nous la connaissions sur le
moment. Nous allons tirer cette affaire au clair ; nous allons enquêter
sur ce qui s'est passé."
La vidéo confirme par ailleurs l'utilisation du logo du journal télévisé de
Telesur, déjà dénoncée auparavant, et révèle que celui du JT de la chaîne
équatorienne Ecuavisa était également visible. Cette usurpation du logo de
chaînes étrangères est un acte grave qui, comme dans le cas des organismes
humanitaires, met en porte-à-faux la neutralité des journalistes en zone de
guerre. A l'avenir, comment les belligérants pourront-ils avoir l'assurance
qu'un individu se présentant au nom d'un média n'est pas un militaire déguisé
en journaliste ?
Dans son communiqué, le gouvernement reconnaît que la vidéo et les
photographies diffusées par RCN résultent de fuites en provenance de membres de
l'armée colombienne. Ce qui n'a rien d'extraordinaire en soi : les médias
parviennent presque toujours à obtenir des informations que le gouvernement
souhaite cacher par le biais de sources bien informées dont l'anonymat est
protégé. Pourquoi le gouvernement s'en étonne-t-il ? Suggérerait-il que
ces informations ont été obtenues de façon illégale, voire achetées ?
Si le gouvernement avait dit la vérité dès le début, peut-être l'enthousiasme
suscité par la libération aurait-il relégué ces détails au second plan.
Personne ne remet en cause la nécessité et la réussite de l'opération Jaque,
mais ces détails, montés en épingle précisément parce qu'on a tenté de les
dissimuler, viennent la ternir. Il serait bon que le gouvernement trouve les
responsables, non pas tant des fuites que des dissimulations de la vérité.