Burkina Faso : le danger pour 2010 : un régime trop sûr de lui

 Le ciel burkinabè en cette fin d'année 2009 est serein. Politiquement, l'homme de Kosyam est au sommet de sa gloire. Tout lui a réussi au niveau extérieur au point de l'emmener à se détourner des affaires domestiques. Or l'année au niveau national s'achève par un fait anodin, en apparence, mais qui montre comment la situation interne est complètement incertaine. Il s'agit de la malheureuse entreprise d'arrestation des scolaires à Ouagadougou pour fait de manifestation publique, contre l'assassinat de leur camarade Flavien Nébié, assassiné le 6 décembre 2000 à Boussé.

 

Dans leur grande majorité, les Ouagavillois n'ont pas prêté attention à la répression des scolaires en décembre de cette année. Comme il est de coutume maintenant depuis neuf ans, les scolaires du Burkina Faso commémorent l'anniversaire de l'assassinat de leur camarade Flavien Nébié en début du mois de décembre. Pour cette raison aussi, et pour éviter les jonctions des causes, affaire Flavien et affaire Norbert Zongo, le gouvernement avait pris l'habitude de donner congé aux élèves dès le 5 décembre. Les cours ne reprenaient que bien après le 13 décembre. Cette année, le gouvernement n'a pas donné congé aux enfants et dès le 5 décembre, un petit comité d'élèves s'est organisé pour perturber les cours dans les différentes écoles de la capitale. Ces perturbations ont pris de l'ampleur à mesure qu'approchait la commémoration du 13 décembre. Entre temps, une réunion précipitée entre le ministère des Enseignements et la commune de Ouagadougou a pris la décision de sévir contre la descente du drapeau dans les collèges qui est le prélude aux manifestations des scolaires. Selon les résolutions de ce comité de crise, il faut désormais sévir contre ces actes constitutifs d'une atteinte aux institutions de l'Etat. Le fait de descendre le drapeau avant le début des manifestations des scolaires est désormais considéré comme un délit. On le voit donc, sous des dehors d'un système arrivé à maturité et irrémédiablement ancré dans la démocratie, c'est encore la frilosité des systèmes immatures et répressifs.
On ne saurait en effet comprendre qu'un régime démocratique installé par une constitution qui reconnaît le droit "à la désobéissance civile" refuse de s'accommoder de la contestation sociale résultant d'un droit à la justice insatisfait. Car c'est de ça qu'il s'agit. Le système burkinabè connaît probablement des performances, mais on est obligé de constater que ces performances ne suffisent pas à masquer les ratés de la machine. Il y a donc un gros déficit en droit humain et en justice sociale que le régime a décidé d'ignorer.
Ces attentes insatisfaites lui remontent régulièrement comme les gaz d'une mal digestion. Depuis, au lieu d'aller résolument voir le médecin, le pouvoir burkinabè abuse des déodorants de la répression. Le procès des jeunes élèves, dont presque la totalité sont des mineurs, pour des chefs d'accusation fallacieux, montre que le régime burkinabè orgueilleux de sa longue "stabilité démocratique" ne tolère pas la contestation.

Plus il est sûr, plus il est fragile

Le paradoxe du régime burkinabè, c'est qu'il n'est jamais aussi fragile que lorsqu'il se croit fort et que tout parait lui réussir. En cette fin d'année 2009, c'est effectivement l'année de toutes les réussites. Les signaux sont au vert. Transparency International vient de publier son rapport annuel contre la corruption où le pays est relativement bien classé. Sur le continent, le Burkina Faso est classé parmi les pays les moins corrompus. Dans le classement de Reporters sans Frontières, le Burkina Faso améliore sensiblement son classement. Même François Compaoré, épinglé dans l'affaire Norbert Zongo, comme prédateur de la liberté de presse, ne figure plus au tableau. Les institutions financières internationales continuent de tenir le régime en grande estime et suprême éloge, la représentante résidente du FMI au Burkina Faso aura cette appréciation positive de la façon dont les autorités burkinabè ont géré la crise des inondations du 1er septembre 2009 : "les inondations du 1er septembre ont été mieux gérées que l'ouragan Katrina aux Etats-Unis." Le ciel politique burkinabè est bleu en cette fin d'année 2009. Mais les nuages ne sont pas loin.

Le talon d'Achille

Le régime burkinabè a cette attitude incohérente que chaque fois que les circonstances lui sont favorables, au lieu d'engager des reformes audacieuses qui l'inscrivent dans l'histoire, il pédale à rebours de la démocratie. Depuis deux ans, le régime renoue avec les succès et c'est aussi maintenant qu'il veut engager des reformes politiques rétrogrades. La première des reformes qui devrait, de l'avis du président Blaise Compaoré lui-même, contribuer à moderniser "les instruments de la gouvernance de l'Etat", c'est la révision constitutionnelle qui va supprimer la limitation des mandats présidentiels, actuellement limités à deux consécutifs, (article 37 de la constitution). Accessoirement, la révision pourrait concerner aussi le code électoral. Mais le président Blaise Compaoré n'est pas prêt à accorder aux Burkinabè, une carte électorale fiable. Dans le même élan rétrograde, le régime bande ses muscles pour réprimer durement les manifestations de contestation. Après la répression féroce des jeunes désoeuvrés des contestations contre la vie chère, qui ont été envoyés fermement méditer en prison à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso en 2008, en cette fin d'année 2009, c'est contre les jeunes scolaires que le régime en veut. Une vingtaine de jeunes scolaires sont depuis le 7 décembre 2009 à la Maison d'arrêt de Ouagadougou. Les rafles n'ont pas discriminé les mineurs et pour corser les chefs d'accusation, les limiers du régime ont fabriqué des crimes. Certains des élèves ont été arrêtés avec du chanvre indien et d'autres ont avoué en consommer. Le procès des élèves ( prévu pour se dérouler le 22 décembre) s'annonce épique avec des condamnations exemplaires en perspective. Les raisons des manifestations annuelles ne seront pas évoquées. D'ailleurs, pour le régime, ces piqûres de rappel, des réalités dont il ne veut plus entendre parler, doivent cesser. En condamnant lourdement les élèves à l'occasion de ce procès, il est sûr qu'aucun autre élève n'osera à l'avenir manifester encore en décembre. Mais cette répression s'adresse surtout aux parents d'élèves. Ils ont intérêt à bien tenir leurs enfants. Jusque là, le régime avait agi préventivement en libérant les élèves au début de chaque mois de décembre. Maintenant, il veut transférer la pression sur les parents : "ou vous tenez vos enfants, ou nous les envoyons en prison".
Voici des signaux qui assombrissent l'embellie générale. En 2010, le Burkina Faso va aborder une année électorale avec une classe politique grisée par quelques succès réels. Au lieu de transformer les succès en acquis démocratiques, le régime va s'évertuer à s'assurer qu'il n'y a rien qui peut entraver son règne. En quelque sorte, il faut faire le silence autour des institutions. Le pouvoir gagnerait pourtant à ne jamais oublier cette mise en garde de Victor Hugo : "Ne souffrez pas les empiétements du pouvoir; ne laissez pas se faire autour de vous cette espèce de calme faux qui n'est pas le calme, que vous prenez pour l'ordre et qui n'est pas l'ordre; faites attention à cette vérité que Cromwell n'ignorait pas, et que Bonaparte savait aussi: le silence autour des assemblées, c'est bientôt le silence dans les assemblées".
Voilà le danger pour l'année à venir. Espérons que notre bienveillante muse nous en prémunira. Bonne année ! NAB



06/01/2010
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