Stigmatisation, VIH-Sida et allaitement
Stigmatisation,
VIH-Sida et allaitement
Certaines mères usent de subterfuges, d'autres outrepassent l'avis médical pour
nourrir leur bébé
Par Ramata
Soré
Des mères
infectées par le VIH-Sida trouvent des alibis autres que le sida pour expliquer
le fait qu'elles n'allaitent pas leur enfant. Contrairement à cette première
catégorie de mamans, une autre, malgré les prescriptions médicales, nourrit sa
progéniture au sein au-delà des délais indiqués. Conséquence : l'enfant risque
d'être contaminé.
Une boule de coton, posée dans le soutien-gorge de Roki, tète ses seins gorgés
de lait. Un sparadrap l'empêche de tomber. Tout comme cette boule qui garde
précieusement ses tétons, Roki, infectée par le VIH-Sida, garde le secret de
son état. Mais le fait d'avoir un bébé ne lui facilite pas la tâche "car
mon entourage veut savoir pourquoi je n'allaite pas ma fille",
affirme-t-elle soucieuse. Alors, pour ne pas révéler son statut sérologique,
"je leur dis que j'ai mal au sein et que le médecin m'a interdit de
nourrir le bébé au risque de lui transmettre des maladies", avoue-t-elle,
l'air perplexe. Depuis 6 mois, elle use de ce subterfuge mais craint que l'on
finisse par découvrir son mensonge un jour.
Les femmes ont peur que par le refus d'allaiter, l'on découvre leur sérologie
et qu'elles soient répudiées. Ce qui fait dire à Brigitte Thombiano, sage-femme
et attachée de santé à la clinique des Sages-femmes que certaines disent à leur
belle-mère curieuse que leur époux leur a interdit de nourrir leur enfant au
sein.
Mentir pour
être acceptée
La
stigmatisation fait que "les femmes se doivent de trouver des astuces pour
expliquer leur attitude sans faire cas de leur maladie", assure Ernest
Ouédraogo, attaché de santé à la Direction de la santé de la famille (DSF).
Ainsi agit Roki et de nombreuses mères ayant choisi l'alimentation avec les
substituts du lait maternel (le lait artificiel, les céréales) conformément aux
dispositions du Programme national de la Prévention de la Transmission du
VIH-Sida de la mère à l'enfant (PTME). Mais pourquoi donc ces ruses? Parce que "ici
au Burkina Faso, le VIH-Sida signifie la mort et l'entourage fait toujours un
lien entre cette infection et la dépravation ou un écart de comportement
sexuel", renchérit Ernest Ouédraogo. Cette problématique de la
stigmatisation est d'autant plus importante que Roki et certains agents de
santé ont affirmé que des épouses ont été mises en quarantaine ou ont dû
abandonner leur foyer après la découverte de leur sérologie par leur entourage.
Et c'est la crainte de cette stigmatisation, selon le docteur Fatoumata
Ouattara, anthropologue à l'Institut pour la recherche et le développement
(IRD), qui oblige les femmes à développer des stratégies de camouflage pour
être acceptées par la société. La pauvreté économique de ces dernières fait
qu'elles n'ont d'autres choix que de dépendre d'un homme.
La peur d'être mis en marge de la société oblige également des mamans à refuser
de nourrir leur descendance. Par exemple, dans la région Nord du Burkina Faso,
explique le Dr Francine Ouédraogo-Douamba, médecin et chargée de programme
national de la PTME, les femmes qui ont opté pour l'alimentation de
remplacement ne veulent pas des substituts du lait maternel à cause des
considérations socioculturelles. "L'entourage ne comprend pas pourquoi la
femme ne donne pas le meilleur d'elle-même à son enfant et pour faire comme les
autres, cette dernière nourrit l'enfant au sein avec le risque de lui
transmettre le VIH-Sida".
L'allaitement maternel exclusif est le lait le mieux adapté aux besoins de
l'enfant. "Il s'adapte constamment aux besoins de l'enfant selon son stade
évolutif et le protège. Il est également riche en anticorps", souligne le
Dr Ouédraogo-Douamba. Mais dans le contexte du VIH-Sida, la PTME conseille aux
femmes qui optent pour l'allaitement exclusif de sevrer le bébé dès le
quatrième mois. "Car le lait comporte le virus du VIH et allaiter au sein
pendant longtemps est un facteur de risque de transmission pour le bébé",
précise le Dr Francine Ouédraogo-Douamba. Sur 100 enfants contaminés, il ya 75%
qui l'ont été pendant l'accouchement et 25% pendant la grossesse. Et sur 100
enfants nés négatifs qui tètent, 14% seront contaminés, mentionne le Dr
Souleymane Zan, gynécologue et point focal de la PTME à l'hôpital national
Yalgado Ouédraogo.
Risques de
malnutrition
Aussi bien
pour celles qui ont choisi l'allaitement au sein ou celui artificiel, une aide
leur est octroyée. Avec la PTME, elles bénéficient gratuitement de lait et de
farine enrichie pour bébé. Même si le Dr Francine Ouédraogo-Douamba garantit
que l'aide aux mères s'arrête dès que le bébé à l'âge de 18 mois, le point
focal de la PTME à l'hôpital national Yalgado Ouédraogo dit qu' "il y a
des périodes où nous avons eu du lait et des moments où nous sommes en
rupture". Le Dr Souleymane Zan explique que ces ruptures au niveau de sa
structure, dans un contexte de vie chère, sont dues au fait que le lait coûte
cher "et actuellement les partenaires ne veulent pas l'acheter".
Cette cherté fait que les familles ne peuvent pas avoir continuellement de
l'aide. Ces dernières doivent prendre en charge leur enfant dès l'âge de 6
mois. C'est le cas de Roki. Sa fille ayant cet âge, elle se demande comment
elle fera pour continuer à la nourrir dès que le stock dont elle dispose
s'épuisera. "Mon mari gagne à peine
La Direction de la santé de la famille en charge de l'exécution de la PTME dit
ne pas disposer de traces sur les enfants dont les mères bénéficient d'une prise
en charge concernant leur alimentation. Le couple mère-enfant ne suit pas
correctement le programme et finit par le quitter, regrette le Dr Francine
Ouédraogo-Douamba.
Ramata.sore@gmail.com
La
névirapine provoque une résistance
du VIH-Sida aux médicaments
Pour remédier au risque de transmission mère-enfant pendant l'accouchement,
"la névirapine est administrée en une dose unique et une seule fois à
l'accouchement à la mère et au nouveau né pour éviter les résistances. Il y a
risque accru de résistance quand on manipule fréquemment le médicament",
affirme le Dr Francine Ouédraogo-Douamba de la Direction de la santé et de la
famille. "Mais, ce médicament conduit à un risque élevé de résistance : en
tentant de protéger l'enfant, l'utilisation de la névirapine peut compromettre
le traitement de la mère" souligne une source médicale. L'idéal serait que
la mère puisse avoir accès à une trithérapie pendant la grossesse et pendant
l'allaitement.
D'ailleurs, au cours de la conférence mondiale sur le VIH-Sida qui s'est tenu
du 03 au 8 aout 2008 à Mexico, une étude américaine a révélé que la névirapine
utilisée pour prévenir la transmission du VIH de la mère à l'enfant dans les
pays en développement resterait pendant 15 jours dans le sang et le lait
maternel. Cette quinzaine de jour est suffisante pour permettre une mutation du
virus. Avec à la clef un risque de voir se développer des résistances. Même
l'OMS a reconnu qu'un autre protocole de traitement devrait être recommandé.
R. S.