Des embryons mi-animaux, mi-humains divisent le Royaume-Uni
Un projet de loi autorisant entre autres la production d'embryons mi-animaux, mi-humains suscite un intense débat outre-Manche. A tel point que le Premier ministre Gordon Brown autorise les députés de son parti à voter selon leur conscience.
L'embryon n'est-il qu'un amas de cellules, comme le soutiennent les scientifiques, ou est-ce, comme l'assure l'Eglise catholique, un être humain pourvu d'une âme ? C'est sur une divergence de vues aussi fondamentale que repose la polémique actuelle autour du projet de loi relatif aux recherches sur l'embryon. Le Premier ministre Gordon Brown a fait une énorme concession, le 25 mars, en promettant aux parlementaires travaillistes de les laisser se prononcer librement sur les mesures les plus sensibles du texte, ce qui revient à ouvrir le débat au pays tout entier. Pour s'exprimer, les parlementaires écouteront sans doute leur conscience mais prendront aussi le pouls de leur électorat.
Ce projet de loi vise à mettre à jour la législation de 1990 sur le traitement de la fertilité et la recherche sur les embryons, en tenant compte des progrès scientifiques et de l'évolution des comportements survenus depuis dix-huit ans. Il repose sur trois questions essentielles, au sujet desquelles les parlementaires pourront donc s'exprimer librement, même si les travaillistes seront tenus de le soutenir lors de la mise au vote, qui a lieu en principe à la troisième et dernière lecture. Ces questions sont : l'autorisation des recherches sur la possibilité d'obtenir des spermatozoïdes à partir de la moelle osseuse, ce qui signifie que les femmes pourront devenir "pères" ; l'autorisation de créer des "bébés-sauveurs" (conçus avec le tissu adapté pour traiter un frère ou une sœur malade) ; et la création d'embryons hybrides humains-animaux pour faire avancer la recherche sur les cellules souches.
C'est ce dernier sujet – la création d'embryons hybrides, ou "cybrides" – qui a attiré les foudres des plus hauts responsables de l'Eglise catholique, lesquels ont dénoncé le projet de loi dans leurs sermons pascals. "Ce projet de loi est une atteinte monstrueuse aux droits de l'homme ainsi qu'à la dignité et à la vie humaines. Dans certains pays d'Europe, on pourrait être emprisonné pour les actes que nous nous proposons de légaliser. Il est difficile d'imaginer un seul texte de loi qui porte autant atteinte au caractère sacré et à la dignité de la vie humaine que celui-ci", estime le plus virulent d'entre eux, le cardinal Keith O'Brien, le chef de file de l'Eglise catholique écossaise. Pour le professeur Colin Blakemore, l'ancien directeur général du Conseil de la recherche médicale, en revanche, "ce projet de loi ne va pas créer des monstres, ni ridiculiser le caractère sacré de la vie humaine. Il va plutôt réduire le nombre d'ovocytes et d'embryons humains utilisés pour produire des cellules souches à des fins de recherche."
La pénurie d'ovocytes humains est l'argument clé du monde scientifique pour la création d'hybrides. Il y a une dizaine d'années, les chercheurs ont découvert une autre source de cellules souches : les ovocytes d'animaux. Ils ont découvert qu'en retirant le noyau d'un ovocyte de lapin ou de vache et en y insérant celui d'une cellule humaine, ils pouvaient créer des embryons hybrides ayant le même développement que les embryons humains et produire ainsi des lignées de cellules souches. L'embryon hybride est génétiquement humain à 99,9 %. Il ne peut être conservé au-delà d'un certain nombre de jours et les cellules souches ne peuvent être utilisées qu'à des fins de recherche. Les avantages n'en sont pas moins considérables, car on pourrait s'assurer une meilleure compréhension d'affections comme la maladie d'Alzheimer ou la sclérose latérale amyotrophique en produisant des cellules souches contenant des défauts génétiques qui contribuent à leur développement.
Ainsi donc, si aux yeux de l'Eglise catholique, l'utilisation d'ovocytes d'origine animale est une atteinte monstrueuse à la vie et à la dignité humaines, pour les scientifiques, cet acte constitue une réponse pratique à un problème pratique.
Jeremy Laurance
The Independent