Jeunesse scolarisée et sexualité : La contraception, un plan de vie négligé
Le monde scolaire plus ou
moins informé de l'existence et de la disponibilité des différentes méthodes de
contraception les utilise très peu. Il préfère affronter les infections sexuellement
transmissibles, le sida et les grossesses non-désirées. Face à cette situation,
les pairs éducateurs sont là pour limiter les dégâts.
"Je sais l'existence du condom, mais je ne l'utilise pas lors de mes
rapports sexuels parce qu'au moment où je dois le porter, je ne me contrôle
plus tellement je suis excité", confie I., élève de 17 ans en classe de
2nde. Or selon le gynécologue Léopold Ouédraogo, responsable du programme
Maternité à moindre risque à l'OMS, le préservatif protège contre les infections
sexuellement transmissibles (IST) telles que la syphilis, la blennorragie, la
gonococcie, etc., les grossesses et le sida. A cette négligence s'ajoute le
fait que nombreux sont les élèves ignorant tout de la façon d'enfiler le
préservatif. Cette imprudence concernant le non usage des condoms s'est vue
également dans la série de films pornographiques réalisée par des élèves de
certains lycées de Ouagadougou en 2007. Dans ces productions, aucun élève ne
portait le codom. Pourtant, plusieurs partenaires sexuels féminins suçaient
deux à trois pénis ou se faisaient pénétrer par autant de sexes masculins.
"Les élèves, considérés comme des adolescents, vivent une transition entre
l'enfance et l'âge adulte. Cette transition est caractérisée par leur vulnérabilité,
leur ignorance des conséquences graves découlant de leurs comportements sexuels
à risque et leur immaturité physiologique à les supporter", souligne le
gynécologue Ouédraogo. La crainte du sida, des grossesses précoces ou
non-désirées et des IST n'est pas encore suffisamment encrée dans les
mentalités des élèves au point de les détourner d'une activité sexuelle non
protégée. Le refus d'utiliser une contraception pousse les élèves à urgemment
rechercher une solution à leurs difficultés. Adissa Konaté, responsable du
Centre d'écoute pour jeunes de l'ABBEF raconte que certaines filles,
n'utilisant aucune méthode de contraception, périodiquement viennent au Centre
afin qu'elle leur délivre la pilule du lendemain pour éviter une grossesse. Ces
filles ont eu des rapports sexuels sans protection. Or la pilule du lendemain
est prescrite exceptionnellement. Vouloir l'utiliser comme méthode de
contraception exclusive peut porter atteinte à la fécondité.
Ces enfants qui font des
enfants
Certains élèves sont
victimes de leurs comportements sexuels. Aussi, sont-ils malades soit du sida
soit sont atteints par des IST ou portent des grossesses précoces ou non
désirées. Pour les filles, la grossesse est encore synonyme de décrochage
scolaire. "J'ai dû abandonner mes études lorsque je suis tombée
enceinte", témoigne Zalissa, 18 ans, ayant le niveau de classe de
première. Sa grossesse non désirée et non planifiée s'est révélée lourde de
conséquences sociales pour elle. "Mon copain a refusé de reconnaître sa
responsabilité. Et pour ma famille, du fait que je ne sois pas mariée, j'ai
souillé son honneur, pour cela, j'ai du quitter ma famille pour me refugier
chez ma tante", confie-t-elle. Mais, plus encore qu'un départ difficile
dans la vie en tant que jeune-parent, c'est souvent la dure réalité qui guette
la jeune mère et le père. Le jeune élève arrête ses études pour épouser sa
partenaire. Il se doit également de se trouver un travail afin de s'occuper de
sa nouvelle famille. Pour la jeune fille, une grossesse précoce comporte de
gros risques du point de vue santé. Elle peut donner naissance avant terme,
souffrir d'anémie, d'hypertension, de dépression, etc. souligne le gynécologue
Ouédraogo. Dans certains cas, sous la pression des parents et devant la
nécessité de poursuivre des études, certains optent pour l'avortement avec des
risques d'en mourir ou de demeurer stérile à vie.
Le développement des moyens de communication tels la télévision, le cinéma,
etc. a brisé les barrières culturelles et favorisé l'émergence de nouveaux schémas
de comportements sexuels parmi les jeunes. De même, le recul de l'âge aux
premières règles, l'effondrement de l'autorité familiale favorisent l'adoption
par des élèves des rapports sexuels précoces non protégés avec des partenaires
multiples.
Inconscience et démission
de la société
Cette imprudence des
élèves est loin d'être imputée seulement à l'ignorance. Nombre d'entre eux
savent l'existence des différentes contraceptions. Ils l'étudient plus ou moins
furtivement lors des cours de sciences sur le corps humain ou lors de travaux
pratiques.
""-La meilleure méthode pour moi, c'est l'abstinence".
"- pour moi, ce sont les préservatifs. Te concernant, je pense que tu
rêves dê! Les hommes de maintenant veulent coucher et si tu refuses, tu va
rester sans mari".
"- Je suis d'accord avec toi. De nos jours, il n'y a pas d'abstinence, les
hommes veulent le sexe…"". Ces propos sont de trois filles, élèves
d'une classe de 3e discutant de méthodes contraceptives. Elles ont une
présentation à faire sur cette thématique, aussi se sont-elles rendues au
Centre d'écoute pour Jeunes de l'Association burkinabè pour le bien-être
familial (ABBEF) de leur ville, Koupèla, pour obtenir plus d'informations.
Dans le programme scolaire burkinabè actuel, aucun cours ne porte sur
l'éducation sexuelle. De ce fait, "les élèves disposent trop souvent
d'informations mal-digérées ou glanées avec les copains", assure Alain K.,
professeur. Néanmoins, certains élèves se rendent dans les Centres d'écoute
pour choisir leur méthode. "Lorsqu'ils viennent ici, ils choisissent
systématiquement le condom", affirme Odile Fandé, sage-femme à l'ABBEF
Koupèla. Ce sont les plus courageux qui se rendent au Centre d'écoute. Ils
craignent les moqueries de leurs camarades et appréhendent le fait que ces derniers
informent leurs parents.
L'hésitation des élèves à fréquenter les structures de santé est également liée
au fait qu'ils fuient le jugement des prestataires sur leur sexualité. Ces
derniers ont souvent des convictions personnelles ou religieuses qui
influencent la façon dont ils les aident. C'est pourquoi les adolescents
hésitent souvent à leur confier leurs préoccupations.
Cette situation fait également "qu'on se débrouille pour s'informer",
assure Adèle, élève en classe de 3e. Aussi, suggère-t-elle que des infirmeries
soient installées au sein des lycées. Ces structures pourront éviter les
stigmatisations. Elles amélioreront l'accessibilité aux services et permettront
aux élèves de rencontrer des prestataires plus aptes à discuter avec des adolescentes
à la recherche d'oreilles attentives à leurs préoccupations et ayant le sens de
la discrétion.
Besoin d'une oreille
attentive
A défaut donc de
construire des structures de santé dans les différents établissements
scolaires, l'ABBEF a initié le système de pairs éducateurs dans certains lycées
de Koupèla, Koudougou, Bobo-Dioulasso et Ouagadougou. Les pairs sont des agents
relais de sensibilisation. Ils sont de la même catégorie socioprofessionnelle
que leurs interlocuteurs. "Les pairs-éducateurs s'expriment franchement.
Ils vont droit au but, sans préjugés ", déclare Lucien, élève. Les pairs
usent des causeries-débats, des projections de films, des conférences pour
discuter de la contraception et de leur usage pour leurs collègues et les
orienter vers les structures compétentes. Cette "tache n'est pas toujours
facile. Parfois, nous rencontrons des trouble-fêtes qui nous posent des
questions embarrassantes et simplement pour perturber vos rencontres",
affirme Apollinaire, pair éducateur en classe de 2nde. Ces élèves pairs
éducateurs sont des volontaires issus de classe n'ayant pas à passer des
examens. Ils doivent être des modèles à travers leur conduite quotidienne.
L'ABBEF exige d'eux, la courtoisie, la discrétion et le sérieux. Leur rôle,
c'est de donner l'information correcte, de sensibiliser au changement de
comportement en matière de santé sexuelle et de la reproduction afin d'éviter
les grossesses précoces ou non désirées, les IST et le sida.
Les dernières enquêtes démographiques et de santé réalisées au Burkina en 1999
indiquent que 11% des filles de 15-19 ans sont déjà mères ou enceintes d'un
premier enfant. Le taux de jeunes hommes et femmes de 15 à 24 ans infectés par
le sida est de 1,3% en 2006, selon le rapport UNGASS 2008.
Ramata.sore@gmail.com