"Sodome et Gomorrhe" : impie mais vertueuse quand meme


Nachinaa Issa Idi Abass, le chef de "Sodome et Gomorrhe"

A Sodome et Gomorrhe, un quartier mal famé planté au coeur d'Accra, la capitale ghanéenne, un homme se tient debout. C'est le chef Nachinaa alias Issa Idi Abass. Il essaie d'éviter le pire aux siens.

" 0244689… My name is Issa…", lit-on sur les planches de la façade d'une baraque peinte en bleu. La terrasse de la devanture en ciment côtoie une fontaine d'eau verdâtre. Sur le mur, monte une végétation d'algues. A l'intérieur de la concession, une machine à coudre sur laquelle traîne un boubou. Sur le mur, deux rangées d'étagères superposées. La première est presque pleine de coupures de tissus. La seconde est vide. Une lampe électrique, plantée au milieu du plafond, éclaire la pièce. C'est le palais du chef.
Une chaise pliante, aux fers peints en jaune avec un siège de tissu vert, reçoit un homme de cinquante deux ans. En face de ce dernier, un jeune homme, les genoux relevés, le regard fermé est assis à même le sol. A leur gauche, un porte-parole et un traducteur sont installés sur une natte. L'homme engoncé dans le siège, c'est le Nachinaa, de son nom à l'état civil Issa Idi Abass. Il est le chef du quartier ou plutôt chargé de la mobilisation des jeunes de Sodome et Gomorrhe. "Mon quartier s'appelle Old Fadama", assure-t-il. "Mais, Je sais que les gens l'appellent Sodome et Gomorrhe. J'avoue que cette appellation me fait très mal ", s'offusque le Nachinaa. " Vous savez, partout où il y a des êtres humains, on y trouve toujours des brebis galeuses", souligne-t-il pour expliquer le fait que sa cité soit traitée de repère de bandits de grand chemin, de drogués, de prostituées, d'homosexuels, de faussaires, etc.

La débauche comme dans la Bible

Dans cette cité, "le sexe n'est rien. Le viol est une chose courante. L'insalubrité, notre compagne. Les choses qui peuvent surprendre les personnes dites normales sont fréquentes ici. Cette situation fait que les gens fustigent et refusent de pénétrer notre quartier. Ils ont peur de se faire agresser et violenter. Ils ont raison, car nous ne nous épargnons pas nous-même a fortiori un étranger", prévient Souleymane, un habitant du quartier. En effet, la police ghanéenne a effectué plusieurs descentes à Sodome et Gomorrhe pour arrêter des vendeurs de drogue, des voleurs, des criminels armés et recherchés, etc. La descente la plus sanglante a été celle de mai 2002. "Le nom Sodome et Gomorrhe a été donné par les médias ghanéens parce que la vie dans cette cité ressemble fort bien à celle des habitants du vrai Sodome et Gomorrhe dans la Bible", affirme Amos Safo, rédacteur en chef du journal ghanéen Public Agenda.
Le site depuis 1980 et ce à deux fois de suite a accueilli, selon le chef Nachinaa, des réfugiés interethniques du conflit en 1981 entre Kokomba et Nanumba ; en 1994, entre Dagomba et Kokomba et en 2000, les réfugiés des émeutes consécutives à l'assassinat du roi Yana. Ces groupes ethniques du Ghana se sont affrontés à propos de problèmes fonciers. A chaque fois, les affrontements se sont soldés par des exodes massifs et c'est toujours le quartier malfamé Sodome et Gomorrhe qui a servi de refuge.
A cette catégorie de résidents s'ajoutent toutes les personnes cherchant une demeure, celles fuyant la pauvreté des campagnes ghanéennes (Gas, Ewes, Akans ).

Une mort digne

Issa Idi Abass a été fait chef des jeunes de son quartier après une élection de circonscription il y a 15 ans. Il est donc le porte-parole de sa cité. Son rôle, dit-il, est d'écouter ses habitants, de leur venir en aide en cas de maladies, de décès ou autres nécessités.
Tant bien que mal, le chef essaie d'organiser la vie de son quartier. D'ailleurs, il désire créer une école. Mais il ne sait où trouver l'argent pour le faire et rémunérer les enseignants qui y travailleront. Déjà, quatre écoles existent. Chaque classe compte plus d'une centaine d'élèves. " Chaque mois, je donne 40 000 cedis soit 2000 F CFA à mon fils pour son enseignant ", soutient Aboubacar, un parent d'élève. Même si Sodome et Gomorrhe est l'antre de la perversité, son premier chef, le Nachinaa, oeuvre pour éduquer ses habitants marginalisés et tenir la flamme de la solidarité.

Promenade dans un ghetto

A Sodome et Gomorrhe, les étals fleurissent devant les logis. Les commerces de boisson, de charbon, de légumes s'alignent comme des guirlandes. Mais les clients se font rares. Issa Idi Abass, en plus d'être le chef de Sodome et Gomorrhe, est également tailleur de son état. Son atelier est quasi vide. Comme il le dit, les affaires ne marchent pas, car il y a très peu de commandes. Le manque de revenus et la dégradation de ses conditions de vie ont poussé à l'abandon du domicile conjugal, trois de ses quatre épouses. "Elles sont parties parce que je n'ai pas d'argent pour subvenir à leurs besoins", confie en souriant le chef. Quelle éducation ses 13 enfants pourraient-ils donc recevoir ? Quatre de ses filles sont mariées, quatre autres vivent avec leurs tantes, quatre vont à l'école, seul le dernier encore tout petit est à la maison.
Des enfants s'y amusent. Une jeune fille fait la vaisselle. "Le quartier est pour le moment très calme, revenez demain dimanche et vous verrez du monde", s'exclame Aboubacar un résident. Une porte-fenêtre entrebâillée laisse voir une table, un pied de chaise. Chaque chambre de 5 mètres carré est occupée par 15 à 20 personnes. " Tous ne dorment pas à l'intérieur. Une grande partie dort à la belle étoile et le problème se pose lorsqu'il pleut car tout ce monde doit dormir à l'intérieur ", souligne Nachinaa. Sodome et Gomorrhe, c'est l'antre de la promiscuité.
Une ruelle marécageuse, c'est de la boue recouverte de copeaux de bois. Tout autour des habitations carrées. Sur les toitures de carton et de tôles, une jungle d'antenne télé, des lianes de fils électriques. Sodome et Gomorrhe dispose de téléphones, de centres de transmission et d'électricité. Selon Aboubacar, les habitants branchés à l'électricité le sont de façon illégale. Pour le payement de la facture, ils reversent un certain montant. Cette somme est versée à celui qui dispose du compteur électrique.

La musique tonne, un congélateur ronronne

Encore un couloir. Une vendeuse de denrées assise contemple par terre des coquilles vides d'œuf. De grosses mouches voltigent. Une jeune fille pétrit de la pâte de blé dans une grande bassine. A droite, un maquis vert-blanc. Le Passky ''J'' pot. La musique tonne. Le lieu est vide. De l'extérieur, on devine sur les étagères des bouteilles d'alcool, un congélateur qui ronronne. Les baraques ont poussé jusqu'à moins d'une dizaine de mètres de la lagune. Combien sont-ils dans ce quartier ? 25 000, 50 000, un million, personne ne sait. Pas même le chef. "J'avoue que je ne connais pas le nombre de ma population. Mais je sais que nous sommes nombreux, et même très nombreux ", précise-t-il.
Sur la berge, un garage à ciel ouvert. Des cars aux portières sans phares, ou aux portières fracassées sont garés pêle-mêle. Près d'un tas d'ordures, une assiette pleine d'eau argentée. Un fabriquant de fourneaux applique avec un pinceau des couches sur un fourneau entamé par la rouille. Sur une dizaine, trois ont reçu leur camouflage doré. Il ira les vendre très prochainement.
Derrière lui passe un bras de lagune. C'est une eau noire peuplée d'une nuée d'innombrables sachets, comme des asticots sur un tas de fumiers. Elle serpente sur plusieurs kilomètres. L'odeur suffocante et nauséabonde n'incommode en rien les riverains. Des groupes d'enfants s'amusent. Certains courent. Des moutons aux pelages blanchâtres paissent l'herbe verte.

Un cimetière de vélos

Sur la berge gauche, une fumée ocre s'élève. Un garçonnet d'environ 3 ans, vêtu d'un tee-shirt bleu, accroupi fait ses besoins. Un peu plus loin, une dame sans pudeur en fait autant. A Sodome et Gomorrhe, la berge de la lagune sert de toilettes. Les sachets, la nuit tombée sont pleins des défécations. Dans ce tas d'immondices, des hommes et femmes fouillent et ramassent des objets.
La légère pente de la berge monte vers une voie non bitumée en terre. Un cimetière de vélos aux roues en l'air. Un adolescent assis sur de vieux pneus observe son collègue faire des acrobaties. Ce lieu, c'est l'entrée du royaume de Sodome et Gomorrhe n

Ramata Sore

Et une loi gouvernementale s'est abattue sur Sodome et Gomorrhe

Sodome et Gomorrhe, la cité impie de la fornication, dont parle la Bible a été détruite par Dieu par une vague de feu céleste pour punir les habitants. A Accra, le gouvernement a entendu les récriminations des populations contre " Old Fadima ", disons Sodome et Gomorrhe. Le gouvernement ghanéen entend nettoyer la "cité impie" non pas en faisant descendre le feu de l'enfer sur ses habitants, mais en les déguerpissant. Un terrain non aménagé à 50 km d'Accra leur a même été déjà affecté.
Toutefois, les squatters de Sodome et Gomorrhe font de la résistance. Un mouvement de " Nous pas bouger " est soutenu par le Centre for Public Interest Law (CEPIL), une organisation non gouvernementale de droits de l'homme. Depuis 2002, une série de dates-limite pour le déguerpissement a été fixée sans être respectee .


R. S




05/11/2007
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