Série à l’eau de rose : la chasse aux hommes des hôtesses de l’air
Il en allait de l'honneur de la profession. Le 21
janvier, le personnel navigant de la Thai Airways est passé à l'offensive. Il a
déposé une pétition auprès du ministre de la Culture thaïlandais, pour que soit
bannie des ondes la série Songkhram Nang Fah ("La guerre des anges" ou
"La guerre des hôtesses de l'air", selon les traductions).
Lancée le 25 janvier sur Channel 5,
la chaîne de l'armée thaïlandaise, Songkhram Nang Fah "transpose
dans les airs les trois ingrédients qui composent toutes les séries
thaïlandaises", raconte le Pattaya Daily News, à savoir "l'amour, l'envie, la
jalousie". Des hôtesses de l'air se crêpent le chignon pour un jeune et
fringant pilote. Piques perfides, coups de talon dans les tibias,
crocs-en-jambe au moment de distribuer les plateaux-repas, empoignades dans les
zones d'embarquement... Comme le montre la bande-annonce, disponible sur YouTube,
tous les moyens sont bons pour s'envoyer en l'air.
"Les gens vont avoir peur de voyager avec nous s'ils voient à la
télévision des hôtesses de l'air se lancer des gifles", estime le délégué
syndical de la Thai Airways. "Après avoir vu la série, ma fille a commencé
à mépriser mon travail. Elle m'a demandé si moi et mes collègues passions
vraiment notre temps à nous battre pour des hommes", rapporte pour sa part
une hôtesse. La production a réagi sans tarder, en décidant d'inclure "des jupes plus
longues et moins de combats". Elle s'est engagée à ce que, dans les
épisodes encore à tourner, aucune rixe n'implique des hôtesses en uniforme et
qu'aucune scène ne se déroule à l'intérieur d'un avion.
La polémique a apporté de l'eau au moulin de ceux qui, depuis une dizaine d'années,
déplorent une dégradation des programmes diffusés. Le pays a mis en place il y
a un an un nouveau dispositif de signalisation des émissions selon les âges.
Mais cela n'a provoqué que de "légers changements", écrit The Nation. "Les séries diffusées en soirée
exploitent les mêmes ressorts à sensation que depuis des années : crêpages de
chignon, médisances, orgies chez les riches et voitures de luxe." Le
quotidien anglophone de Bangkok publie également les résultats d'une enquête universitaire selon laquelle les chaînes de télévision
thaïlandaises voient dans le téléspectateur un consommateur plus qu'un citoyen.
"En cette période de reconstruction politique, les chaînes devraient
encourager un engagement militant, et inculquer le civisme au public",
affirme le professeur Uajit, qui a dirigé l'étude. Le pays ne s'est pas encore
remis du putsch militaire de septembre 2006, même si un gouvernement élu vient
tout juste de prêter serment, le premier depuis le coup d'Etat.
Des voix s'élèvent aussi pour réclamer que certaines séries soient diffusées
tard dans la nuit. Le débat est ouvert, acquiesce Boonrak Boonyaketmala,
enseignant à l'université Thammassat de Bangkok. "Devons-nous protéger la
liberté des producteurs de télévision à diffuser ce qu'ils veulent, au nom du
pur divertissement ? Ou devons-nous leur imposer des normes culturelles ?"
demande-t-il dans les colonnes du Bangkok Post. Les producteurs ont déjà fait savoir
qu'ils ne se laisseraient pas rogner les ailes si facilement.
(Avec Christine Chaumeau) Marie Béloeil