Sarkozy, l’homme qui ne savait pas être président
Les
Français sont trop sérieux ou trop convenables pour pardonner à Nicolas Sarkozy
ses caprices. Ils ont le sentiment que leur pays en sort diminué.
L’effondrement
de la cote de popularité de Nicolas Sarkozy n’est pas irréversible. Mais cette
chute n’en témoigne pas moins, et à plus d’un titre, de l’image qu’ont les
Français de leur propre pays. En surface, le problème de Sarkozy semble être
que son hyperactivité n’a pas produit grand-chose. Soyons justes, il a tout de
même réussi à désamorcer d’importants conflits sociaux qui avaient anéanti la
volonté réformatrice du dernier mandat de Jacques Chirac.
Mais le président français est aussi coutumier des annonces tonitruantes et des
promesses à l’emporte-pièce que ses ministres sont ensuite chargés d’analyser
pour les trouver au bout du compte inappropriées ou inapplicables. Et
l’imbroglio Cécilia-Carla n’a rien fait pour arranger les choses, au contraire.
Personne ne lui reproche que son couple ait été en crise, ni même qu’il se soit
remarié, mais l’étalage de tout cela dans les journaux du monde entier, dans un
tourbillon de “pipolisation”, comme on dit bizarrement en bon franglais, s’est
révélé faire très mauvais effet. Car la France reste un pays très attaché à la
bienséance. Un endroit où les nobles usages et la politesse permettent de
marquer au quotidien une distance bien utile, tout en favorisant une courtoisie
aussi indispensable qu’apaisante. La concierge et la boulangère sont
systématiquement gratifiées d’un chère Madame* et des nouvelles de leur
santé leur sont rituellement demandées. Les échanges de courrier avec le Trésor
public ou un quelconque client se concluent toujours par une formule de
politesse et de déférence dont les gradations et le bon usage sont expliquées à
tout étranger (et à toutes les secrétaires). Nicolas Sarkozy a renoncé à être Monsieur
le Président de la République*, sauf lorsque cette noble appellation se
révèle opportunément intimidante ; dans les autres cas, il veut simplement
être le type qui a un boulot à accomplir, à savoir tapoter les électeurs sur
l’épaule, un dirigeant qui a gagné sa place au mérite, tout ça pour finir à la
une des magazines people avec sa dernière – somptueuse – conquête. Tout cela ne
colle pas, et les Français ont le sentiment que leur pays en sort diminué.
Car la France est un pays éminemment sérieux. Or les grandes décisions de
politique étrangère – l’Afghanistan, l’Iran, les rapports de la France et des
Etats-Unis, l’OTAN, Israël, les Palestiniens, ou encore le nom du futur
président de l’Union européenne ou celui du prochain maire de Neuilly – sont
toutes prises par Sarkozy sur le mode du caprice, sans préalable ni débat
public. La situation actuelle est de celles que le président français semble
avoir lui-même anticipées, voire redoutées : conquérir le pouvoir est une
chose, en faire bon usage en est une autre. Au lendemain de son élection, il
avait déclaré à la dramaturge Yasmina Reza : “J’ai rêvé d’être là où je suis
maintenant. J’y suis. Et ça ne m’excite pas. C’est dur. Ça y est, je suis
président. Je ne suis plus dans l’avant.” Nicolas Sarkozy se retrouve donc
dans le “maintenant”. C’est peut-être là tout le problème, et un problème pour
lequel il ne trouve pas de réponse satisfaisante.
* En français dans le texte.
William Pfaff
International
Herald Tribune