Sarkozy, ce grand malade
Pour
le directeur adjoint d’El País, le président français “se vautre dans
l’exhibitionnisme” et “rabaisse la République au niveau de Monaco”.
Une charge violente contre un Sarkozy atteint d’une “incurable hypertrophie
de l’ego”.
Les
Français ont un problème. Ils croyaient avoir un superprésident, un hyperdirigeant
capable de les sortir de la dépression et de la décadence, et voilà qu’ils ont
écopé d’un président comme ils en ont déjà connu beaucoup d’autres : à savoir
malade, limité, qu’il faut dorloter et protéger tout en s’organisant pour que
la France tourne et que le gouvernement et les institutions fassent leur
devoir. La situation n’a rien d’inédit : Pompidou et Mitterrand étaient déjà
des présidents malades et diminués. Le premier est même mort avant la fin de
son mandat. Quant à Chirac, il fut un obstacle paralysant pendant une bonne
partie de sa présidence. La maladie dont souffre Sarkozy n’a pas la gravité du
cancer de la prostate de Mitterrand, mais elle touche un organe vital s’il en
est : l’ego. Celui du président est d’évidence atteint d’une hypertrophie
probablement incurable.
Plus on s’approche du 9 mars, date du premier tour des élections municipales,
plus la nervosité des candidats du parti présidentiel augmente et plus on
redoute les interventions de Sarkozy, susceptibles de faire perdre des voix à
l’UMP. Le parti du chef de l’Etat est divisé à cause de tensions qu’il a
lui-même créées. Le traitement qu’il a infligé en public aux uns et aux autres,
y compris à certains de ses collaborateurs les plus proches, est digne du
comportement d’un monarque bilieux et capricieux avec ses laquais. Même son
actuelle impopularité est extravagante : elle ne s’explique pas par un train de
réformes puisque ces dernières sont encore largement inappliquées. Elle
s’explique uniquement par son comportement public.
Un triomphe de sultan, seigneur en son sérail
Le trône qu’occupe Nicolas Sarkozy a été imaginé par de Gaulle pour lui
permettre d’être le troisième larron d’un monde bipolaire. Le président
français voulait être un fier contrepoids occidental dans l’affrontement entre
Washington et Moscou. Or Sarkozy, arrière-petit-fils libéral et proaméricain de
De Gaulle (après le petit-fils, Chirac, et le fils, Pompidou), s’est installé
sur le trône élyséen porté par son ambition personnelle et sa conception
égotique de la présidence : il a par le fait encore accru les pouvoirs de la
présidence. Et, une fois parvenu à ses fins, il s’est consacré à lui-même,
comme un ado narcissique obnubilé par ses sentiments et ses plaisirs. Certes,
le pouvoir peut en apporter beaucoup, mais la prudence conseille de ne pas trop
en faire étalage. Sarkozy le téméraire fait tout le contraire et se vautre dans
l’exhibitionnisme.
C’est sur trois points précis qu’est venu se briser le personnage : l’économie,
qui n’a pas enregistré la moindre amélioration depuis son arrivée ; son
idéologie plus néocons, voire “théocons”, que gaulliste – en témoignent des
prises de position sur la laïcité contraires à la culture de la République ; et
sa vie privée, étalée dans les médias. En monarque thaumaturge qui par une
simple imposition des mains devait augmenter le pouvoir d’achat, il a échoué au
point de prononcer la formule maudite qui rompt les sortilèges : “Qu’est-ce
que vous attendez de moi ? Que je vide des caisses qui sont déjà
vides ?” En monarque philosophe, il a manifesté les plus fortes
réserves vis-à-vis des traditions républicaines, en exprimant avec désinvolture
son affinité intellectuelle avec le pape. Il n’a pleinement triomphé que dans
le rôle de sultan, seigneur en son sérail, paré des atours qui passionnent un
certain public – et manifestement aussi ses pairs. Le voilà fasciné par son
propre pouvoir de séduction, son goût exquis et sa désinvolture. Mais ce
triomphe-là a le don de déprimer beaucoup de Français car il rabaisse la
République au niveau de la principauté de Monaco.
Lluís Bassets
El
País