Ruée sur le vieux papier en Allemagne


 
Avec la hausse du prix du bois, le recyclage des papiers usagés devient une activité lucrative qui attire les convoitises du secteur privé.

Rien n’est plus vieux que le journal d’hier, a-t-on coutume de dire dans la presse. Les titres de la veille sont pourtant très courus actuellement car le papier sur lequel ils sont imprimés rapporte désormais beaucoup d’argent. Une entreprise qui récupère les vieux journaux peut aujourd’hui en tirer jusqu’à 100 euros la tonne, soit deux fois plus qu’il y a un an et demi. Le vieux papier est en effet devenu une matière première importante pour les usines de papier depuis que le prix du bois grimpe régulièrement. Dans certaines municipalités et collectivités, collecteurs municipaux et collecteurs privés se livrent donc main­tenant une guerre sans merci.

Ainsi, à Hambourg, Remondis, le géant de la collecte et de la valorisation des déchets, a distribué au cours des semaines passées des bacs à papier bleus dans les foyers pour récupérer une partie des quelque 100 000 tonnes de vieux papier que la ville hanséatique produit chaque année. La municipalité, qui avait elle aussi installé dans toute la ville des bennes où les gens devaient déposer leur papier, s’est alors réveillée et a distribué ses propres bacs bleus tout en attaquant Remondis devant le tribunal administratif au motif que la collecte du vieux papier était de sa compétence exclusive.

La justice n’a pas été de cet avis. Après les municipalités d’Augsbourg, Lunebourg, Mannheim, Heilbronn, Schleswig et Schwerin, entre autres, la ville de Hambourg a elle aussi vu son recours rejeté par la cour il y a quelques jours. Saisi en référé, le tribunal administratif a décidé que Remondis, dont le siège social se situe à Lünen, en Westphalie, pouvait continuer – comme les autres collecteurs de papier privés – à distribuer des bacs bleus. La loi sur le recyclage des déchets évoquée par la municipalité n’offre aux collecteurs publics aucune protection contre la concurrence du secteur privé, ont estimé les juges, pour qui le fait que la collecte soit effectuée par des entreprises privées à but lucratif ne porte pas atteinte à l’intérêt public. Les lois sur le recyclage ont en effet pour objectif de préserver les ressources naturelles et de favoriser une gestion des déchets respectueuse de l’environnement – et non de protéger le secteur public.

Les collectivités locales répliquent qu’on vide leurs compétences de leur contenu pour permettre au secteur privé de faire des bénéfices. Selon elles, les sociétés privées ne collectent que les matériaux dont elles peuvent tirer profit, ce qui ne favorise pas une gestion durable des déchets. Pour le BDE, la fédération des professionnels du recyclage, les objections des collectivités ne sont ni plus ni moins que des cris de rage et de désespoir. “Les mu­nicipalités se rendent compte que l’argument de la prévoyance écologique ne s’applique pas dans ce domaine”, explique un porte-parole. Pour lui, et c’est compréhensible, il y a un marché qui fonctionne, donc il y a liberté d’entreprendre et de faire des profits.

La guerre de la récupération pas toujours très propre

En revanche, le VKS – qui regroupe des entreprises publiques de gestion des déchets – n’accepte pas la décision des tribunaux et demande aux politiques de modifier la réglementation. “Il faut reconnaître clairement la compétence des communes en la matière”, déclare Karin Opphard, sa directrice. Sinon, les responsables politiques vont perdre leur influence – ce qui risque de nuire à la durabilité de la gestion des déchets.
Le ministère de l’Environnement lui-même ne partage pourtant pas cet avis. Et certaines municipalités, devant la faible probabilité d’obtenir un jugement favorable, préfèrent s’épargner une procédure coûteuse et se mobilisent par d’autres moyens contre la concurrence du secteur privé. Toujours à Hambourg, la direction de l’environnement appelle ainsi les citoyens à s’adresser aux services de la voirie si les bacs de Remondis installés dans les passages leur causent des nuisances. Le district de Tübingen a également renoncé récemment à saisir les tribunaux, mais il a appelé dans le journal local au boycott des bacs des entreprises privées.

Ce serait parfaitement possible. Car les citoyens peuvent décider eux-mêmes à qui ils confient leurs vieux journaux, papiers et emballages en carton. “Nous mettons gratuitement un bac de collecte à la disposition de chaque foyer. Nul n’est contraint de l’utiliser”, précise Egbert Tölle, le président de Remondis. “Si personne n’en veut, Remondis le reprend sans problème.” Le citoyen a donc le choix – et quel choix ! A Lübeck, par exemple, c’est carrément la folie : on compte parfois jusqu’à quatre bacs pour vieux papier devant certains immeubles d’habitation de cette ville d’Allemagne du Nord.

Les petites entreprises privées luttent contre les entreprises nationales, les municipalités contre les groupes internationaux. Les choses ne se passent d’ailleurs pas toujours proprement. Les bacs de la concurrence sont parfois enlevés ou les entreprises municipales vident tout simplement ceux des concurrents privés. A Lüneburg, Remondis a ainsi porté plainte pour vol contre l’entreprise municipale Abfallgesellschaft GfA.
Les municipalités ripostent aussi en s’attaquant au porte-monnaie de leurs concitoyens. Elles menacent ouvertement, comme récemment à Hambourg, Darmstadt et Schwerin, d’augmenter la taxe d’enlèvement des ordures ménagères si les habitants optent pour les bacs des entreprises privées. “Les recettes générées par la commercialisation des déchets entrent directement dans le calcul de la taxe et contribuent de façon importante à sa stabilité”, explique Karin Opphard. Si elles disparaissent, il faudra malheureusement augmenter la taxe.
Cette idée soulève un tollé. “Au lieu de menacer les gens d’augmenter la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, il faudrait se demander pourquoi celle-ci ne diminue pas alors que le prix du vieux papier augmente”, réplique le président de Remondis, pour qui une augmentation de cette taxe constitue une atteinte à la concurrence. L’entreprise (et certains de ses concurrents comme Veolia, Alba ou Pape) va maintenant installer d’autres bacs de collecte dans les prochaines semaines, et pas seulement à Hambourg. Le rythme devrait toutefois ralentir : la demande croît tellement que les fabricants de ces bacs ont considérablement allongé leurs délais de livraison.

Carsten Dierig
Die Welt



29/05/2008
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