Pour qui le CSC joue-t-il les gros bras ?
Nous avons lu et relu la
recommandation N° 001- 2008 du Conseil supérieur de la communication (CSC)
portant sur le strict respect des règles déontologiques et éthiques, mais nous
avons du mal à savoir sur quelles allégations précises portent les
"sérieuses atteintes à ces ressorts déontologiques et éthiques",
preuve de "la rupture" avec "cette assise professionnelle
acquise par nos médias". Le texte du CSC est d'autant plus flou qu'il
rassemble dans une même réprobation, plusieurs journaux dont l'approche et le
traitement ne sont pas les mêmes sur les questions incriminées. Que ce soit sur
les questions des casses ou sur la santé du président, les journaux n'ont pas
dit la même chose. De quoi s'agit-il donc ? Nous aurions souhaité qu'à la place
de "la mise en demeure" qui fait planer sur nos têtes, telle une épée
de Damoclès, des "décisions administratives", l'on privilégie la
démarche explicative et compréhensive de portée autrement plus pédagogique. Et
puisque l'on nous menace de sanctions, afin que celles-ci ne relèvent pas du
seul fait du prince, il ne serait pas superflu d'indiquer les références
normatives sur lesquelles pourraient se fonder en cas de récidive, la future
fatwa du CSC. Et puis, nous ne ferons pas l'injure à notre honorable
institution en disant qu'en droit, la forme importe tout autant que le fonds. A
cet égard, quelle est la valeur juridique d'une recommandation collective
essentiellement caractérisée par la confusion des responsabilités ?
Ceci dit, sauf erreur, le
CSC n'a pas entendu les responsables des journaux incriminés comme il le fait à
son habitude. Y a-t-il une raison particulière qui expliquerait cette entorse à
une tradition qui avait fini par s'affirmer comme une règle non écrite ? Voilà
pour la forme.
Venons-en maintenant au
fond de la question. En ce qui nous concerne, les numéros 134 et 135
incriminés, ainsi que l'allusion faite à la maladie du président dans le
communiqué du CSC nous amène à penser que c'est précisément à ce niveau que se
situe le casus belli que l'on nous reproche. Nous nous sommes demandé
publiquement si notre président était malade ? Certains nous reprochent de
donner dans la spéculation sans la moindre preuve tangible. Si on attend que
nous exhibions des bulletins de santé en bonne et due forme, eh bien disons-le
tout de suite, nous ne les avons pas. Mais nous avons par contre d'autres
preuves et celles-ci sont physiques et accessibles à tous ceux qui regardent
les images de notre président à la télévision. Certes, l'apparence physique ne
saurait être une preuve irréfragable, mais pour fonder une préoccupation, c'est
suffisant. Mais attention. Si nous nous interrogeons, ce n'est nullement pour
nous en réjouir. Dans notre éducation, l'on est fondé à s'interroger sur la
santé d'un proche quand on perçoit des signes d'une quelconque méforme. C'est
pourquoi nous nous sommes autorisé à le faire, à partir d'une posture de
journaliste qui a vocation à interroger les sources et a en exploiter les
résultats. Blaise Compaoré est non seulement un homme public, mais il est aussi
notre président. Qu'il souffre si son sujet nous intéresse, pour autant qu'il
influe ou peut influer sur la vie de la nation. Et en toute sincérité, nous
croyons exercer ce métier de journaliste en toute responsabilité, sans aucune
intention de nuire.
Mais nous ne sommes pas naïfs au point de croire que ces réactions indignées ici et là le sont toutes par souci de préserver la déontologie et l'éthique professionnelle. Nous sommes bien instruits pour savoir que des intérêts étrangers à la profession s'expriment parfois bruyamment par titres interposés au mépris des règles les plus basiques. Ces intrusions sont un véritable cancer qui ternissent non seulement l'image de ceux qui se prêtent à ce jeu, mais plus grave, elles portent aussi le discrédit sur une profession qui a encore beaucoup à donner. Nous fondons beaucoup d'espoir sur le CSC dont nous ne pensons que du bien. Mais pour autant, ce dernier doit faire attention à ne pas succomber à la tentation de jouer un rôle qui n'est pas le sien. Non pas que nous nions l'existence de questions sensibles dont le traitement se doit d'être approprié. Mais nous nous refusons à admettre le principe des questions taboues, frappé du sceau du secret absolu que nous croyons incompatible avec le vœu d'une société moderne. Si la dépénalisation de la presse doit rimer avec cette façon de la museler, quelque soit le domaine dans lequel cela porte, alors nous devons reconnaître que nous nageons tous dans un complet malentendu. La liberté de la presse ne doit pas se monnayer et nous voulons bien croire que sur cette question de principe, personne ne se trompe ! Ce n'est pas en donnant un coup de barre à gauche et un coup de barre à droite que l'on redonnera à la profession ses lettres de noblesse. Il faut être juste. Sans plus. Pour notre part, nous attendons toujours de savoir ce que dit la loi et en quoi nous lui avons désobéi.
Germain Nama