Photographisme : l’inédit pour raconter la vie
Un
papillon de nuit posé sur un cercueil. Un enfant enterré dans du sable noir. Un
adolescent incarcéré dans sa peau douloureuse. L'éblouissement fatal au bout du
tunnel.
"Camp Sundown", la chambre noire de l'Israélienne Adi Lavy.
Sélectionnée parmi "Dix photographes émergents" présentés au festival
de la Mode et de la Photographie de Hyères, Adi Lavy présente un reportage sur une colonie de vacances
pour enfants atteints du Xeroderma pigmentosum, une maladie génétique
très rare qui interdit l'exposition à la lumière du jour – un regard
documentaire au sein d'une manifestation a priori dédiée au style. En effet,
Michel Mallard et Raphaëlle Stopin, directeurs artistiques depuis 1998,
s'appliquent à révéler de nouveaux talents sans limite de genre. Friande
d'innovation, la mode saura bien permettre à certains de s'y épanouir par la
suite.
De plus, la sélection des images s'exerce dans des champs si divers qu'elle
malmène la définition même de l'acte photographique : land art pour
Scarlett Hoof Graffland, présente dans la photo qu'elle compose et fait
photographier ; animaux morts pour Diana Sherer, soigneusement étendus sur
des images rephotographiées ; macrophoto d'un monde imaginaire à base de
produits ménagers chez le Néerlandais Cassender Eeftinck Schattenkerk ;
accessoires et fantaisies, voiture habillée en majorette pour Philippe
Jarrigeon ; blog amoureux entre deux continents pour les Chinois Patrick
Tsai et Madi Ju… Autant d'approches affirmées dont il paraît difficile de
comparer la qualité.
Pourtant, la Française Audrey Corregan l'a emporté, explorant de manière très
symbolique l'opacité du sujet en déclinant une série de majestueux oiseaux vus
de dos. L'Allemande Amira Fritz, prix spécial du jury, déploie pour sa part ses
obsessions autobiographiques avec des compositions florales disséminées dans
une nature fantomatique. Deux démarches photographiques ambiguës tant elles
flirtent avec l'art contemporain. Le jury a aimé les photos, mais salue la
démarche : voilà deux artistes qui feront leur chemin.
Pendant ce temps, Adi Lavy "couvre" la planète. Titulaire d'un
diplôme de journaliste obtenu en l'an 2000 à Tel-Aviv, elle a étudié
ensuite la photo à la Visual School of Art de New York. Elle s'attache à la
délicatesse de la rencontre, au temps passé, à l'attention à l'autre. Elle
expose à Hyères, sans discours particulier, un témoignage humaniste dont la
puissance du sujet occulte hélas la dynamique symbolique de son travail :
un reportage sur une maladie de la peau, quand il pourrait s'agir d'une
métaphore poignante et magistrale de son pays d'origine.
Il est tentant de mettre cette vision en parallèle avec celle de la vidéaste
israélienne Michal Rovner, qui, elle, inscrit sur la chair intime des murs une
humanité minuscule et tremblante, avant de la rassembler cruellement au fond
d'un puits très sombre et très profond. Ou encore celle d'Amron Yarif, qui
photographie des murs et des nuits noires, et qui illustre le rêve de
Jacob : une échelle dérisoire dressée dans un cachot obscur.
Chacun des écrivains présents cette année au Salon du livre en l'honneur des 60 ans
de la création d'Israël aurait pu légender ces images sublimes d'êtres humains
qui s'enferment et se protègent à tout prix pour rester en vie. Du droit
d'exister - "on a le le droit de vivre", revendiqué par Orly
Castel-Bloom - au "ghetto armé" déploré par Aharon Appelfeld.
Du singulier vers l'universel, vivre mais comment ? Les artistes de cette
région du monde élaborent inlassablement des œuvres qui nous renvoient, au-delà
du destin d'Israël, à nos peurs existentielles.
Avec "Camp Sundown", il apparaît qu'Ady Lavi manie amplement les
symboles et déploie ses obsessions, mais son travail ne s'exprime pas dans un
champ muséal. Trop de chair, trop de réalité. Elle a le talent d'utiliser le
matériau vivant de notre humanité en recueillant les images plutôt qu'en les
composant, et par là même elle se trouve exclue du statut d'artiste, reléguée
par le jury vers un genre qui n'est pas répertorié dans le monde de l'art, le
photojournalisme.
Trop humaine, trop proche de ces "enfants de la Lune", comme on les surnomme.
Pour les gens comme elle, ainsi que le propose amèrement l'artiste israélien
Ohad Meromi avec sa série "Moon Colony", l'avenir est sur la Lune.
Parmi les surprises que réservait l'édition 2008, Jörg Colberg participait
au jury. Pour ceux qui l'ignorent encore, cet astrophysicien (et artiste
universel : on lui doit la transcription visuelle de référence de
l'Univers) anime le blog
Conscientious, le médium le plus élaboré sur l'actualité photographique. Il
développe par ailleurs un travail personnel de photographe.
Sophie-Anne Delhomme