Pékin tente de digérer le lait frelaté
Bien
décidées à ne pas se laisser déborder par le scandale qui agite le pays depuis
plusieurs jours, les autorités font feu de tout bois et reçoivent un satisfecit
de la presse. Pourtant rien n'est réglé.
Evénement
extraordinaire lorsque, le 16 septembre, la présentatrice vedette du journal
télévisé de la télévision centrale chinoise, Xing Zhibin, au phrasé
habituellement impeccable, s'est mise à buter sur les mots en lisant dans son
intégralité les résultats des analyses publiées par l'Administration d'Etat en
charge du contrôle de la qualité. Ceux-ci concernaient la présence de mélamine
dans les poudres de lait maternisé [cela a conduit à la mort de quatre
nourrissons et à l'hospitalisation de 13 000 autres dont 104 dans un état
grave]. Elle n'a épargné au spectateur aucun détail – du nom de la marque à
celui du fabricant, en passant par la teneur en mélamine du produit. Pourtant
très expérimentée, elle n'avait de toute évidence pas eu le temps de préparer
tranquillement la présentation de cette liste qui venait de lui tomber entre
les mains. Cela en dit long sur le sentiment d'urgence que cette affaire a fait
naître dans les milieux concernés.
Selon le rapport, 66 des 175 producteurs chinois de lait maternisé avaient déjà
stoppé leur production de lait en poudre, les 109 autres faisaient l'objet
d'enquêtes individuelles et 491 lots de marchandises avaient fait l'objet d'une
vérification. Cette campagne d'inspection ciblée a permis de détecter la
présence de mélamine à des teneurs diverses dans 69 lots de 22 entreprises dont
il a été demandé le retrait immédiat des rayons. Parmi ces fabricants, on
trouve des marques célèbres comme Yili, Mengniu ou Yashili, mais c'est chez
Sanlu qu'une teneur record a été découverte, avec plus de 2 000 milligrammes
par kilo ! Ces résultats n'ont fait que confirmer la rumeur selon laquelle
ajouter de la mélamine au lait maternisé était devenu la règle tacite dans
cette industrie.
Ce qui mérite le plus d'être souligné, c'est la manière dont les pouvoirs
publics ont géré l'affaire. Auparavant, quand les autorités locales avaient à
traiter ce genre de problème, ils cherchaient bien souvent à dissimuler les
faits, ou, quand ils n'étaient plus possible de les étouffer, ils essayaient
d'en minimiser la gravité. Mais, dans le cas présent, le gouvernement a choisi
de donner une grande dimension à l'affaire. Le 13 septembre, trois jours après
les révélations du journal Zaobao sur la qualité douteuse du lait maternisé
Sanlu, le Comité central et le gouvernement ont mis en branle le mécanisme
d'alerte de niveau 1 pour les accidents de sécurité alimentaire importants et
ont créé une cellule d'urgence regroupant, sous la houlette du ministère de la
Santé publique, des responsables de l'Administration d'Etat de contrôle de la
qualité, de l'Administration générale de l'industrie et du commerce, du
ministère de l'Agriculture, du ministère de la Sécurité publique, de l'Agence
de surveillance et de contrôle des aliments et des médicaments, ainsi que du
gouvernement provincial du Hebei. L'objectif était de prendre ensemble des
mesures pour traiter le scandale.
Cette situation était en fait inéluctable. Elle est le prolongement naturel de
l'épidémie de SRAS en 2003 et du grand séisme de Wenchuan en mai 2008. Elle
illustre l'élaboration en temps de crise d'une échelle de valeurs qui place la
vie humaine au-dessus de tout. La décision du gouvernement central, qui montre
de façon plus poussée la volonté du pouvoir de "placer l'homme au
centre", lui vaudra sans aucun doute la reconnaissance de la population.
Comme le Premier ministre Wen Jiabao l'a encore rappelé, ce qu'un peuple perd
dans une catastrophe doit être compensé par les progrès réalisés. Certes, les
catastrophes naturelles et humaines ne cessent de nous tourmenter et de nous
mettre à l'épreuve, mais les valeurs et les progrès institutionnels obtenus
dans notre lutte contre les désastres et les crises sont les meilleures armes
pour combattre et prévenir les prochains fléaux.
L'affaire du lait frelaté est aussi une bonne leçon pour toutes les entreprises
et les pouvoirs publics locaux. Elle leur montre que celui qui cherche à
étouffer les scandales finit toujours par devoir rendre des comptes ! Toute
mauvaise pratique se fondant sur l'envie de nuire, toute tentative d'étouffer
les affaires pour favoriser ses protégés – que ce soit en matière de qualité
alimentaire, de sécurité de la production, de conflits sociaux ou de conflits
d'intérêts entre les entreprises et les citoyens – finit toujours par se
retourner contre son auteur. Dans tous les cas, ceux qui nuisent à autrui
finissent par se détruire eux-mêmes et entraînent parfois la ruine de tout un
secteur d'activité. Aujourd'hui, alors que le gouvernement chinois consolide
peu à peu la construction d'un système axé sur la personne et alors que, à
l'heure d'Internet, la transmission des informations ne connaît pas de limites,
ces individus doivent avoir conscience que toutes les vérités finissent par
éclater sur la place publique et qu'il ne leur est plus possible de vivre dans
l'insouciance.
Ce scandale nous fait également dire qu'on est en train de mettre un terme à la
tradition consistant à privilégier les affaires avant tout, qui a poussé
certains pouvoirs publics locaux à prendre la défense de leurs entreprises.
Seul l'homme est l'objet et le sujet de toute chose. Si l'on ne parvient pas à
atteindre cet objectif grâce à l'édification d'un système institutionnel
solide, cela aura de graves conséquences dans deux domaines. Premièrement, les
litiges opposant les citoyens et les entreprises risquent de dégénérer en
affrontements et en heurts entre la population et les pouvoirs publics.
Deuxièmement, l'indulgence vis-à-vis des entreprises peut conduire à ce qu'un
simple méfait aboutisse à une véritable catastrophe. Quand un problème éclate,
il est bien souvent trop tard pour "séparer la pierre de jade calcinée de
sa gangue". Et, alors, tout le monde paie les pots cassés.
Tong Dahuan
Xinmin
Wanbao