Obama, trop cool pour un pays nerveux
Comme sans doute aucun autre candidat à la présidentielle avant
lui (bon, d’accord, John F. Kennedy, peut-être), Barack Obama est l’incarnation
du cool. Il est jeune. Il est tendance. Il est noir. S’exprimant d’un
ton toujours égal, Obama a toujours l’air de dire : “Quoi, moi, m’inquiéter
?” Ses discours enthousiasment sans enflammer. Il parle d’espoir, de
changement et de possibilités infinies, mais toujours d’un ton mesuré qui
apaise tout en transportant. Son surnom de “No Drama Obama” [Obama, celui qui
ne fait pas de drame] lui va comme un gant.
Et c’est précisément tout cela qui me paraît poser problème, à ce stade. Si son
comportement plein de sang-froid et de maîtrise de soi contribuent à donner
d’Obama l’image de quelqu’un qui est capable d’occuper la fonction
présidentielle, il risque aussi de le faire paraître détaché face aux problèmes
pressants du moment. Car le moins qu’on puisse dire, c’est que la période n’est
guère rassurante pour les Américains. L’économie vacille. Le chômage augmente.
La croissance est en berne. Les prix du pétrole crèvent le plafond, tandis que
ceux de l’immobilier sont en chute libre. L’industrie automobile est au bord du
gouffre. Nous sommes toujours empêtrés dans deux guerres, donc aucune ne semble
se diriger vers un heureux dénouement. Al-Qaida a les coudées franches dans
l’ouest du Pakistan. Et voilà que la Russie se comporte comme si elle voulait
relancer la guerre froide.
Face à ces événements dramatiques, Obama propose des réponses réfléchies,
équilibrées et pragmatiques. Il ne cherche pas à se faire passer pour un homme
d’action en bombant le torse et en jurant de reprendre les forages pétroliers
aux Etats-Unis [pour réduire la dépendance des Etats-Unis vis-à-vis du pétrole
étranger, comme le fait le candidat républicain John McCain] ; ou de décréter
une exonération fiscale temporaire afin d’alléger notre douloureuse facture de
carburant [comme l’avait fait Hillary Clinton lors de primaires démocrates].
Lorsque la Russie a envahi la Géorgie, Obama a appelé, dans un premier
communiqué, les deux parties à faire preuve de retenue. Lorsqu’il est devenu
évident que les intentions de la Russie n’avaient rien d’angélique, les propos
d’Obama se sont faits plus durs. Mais, en cette occasion comme dans la plupart
des circonstances, il a parlé et agi sans émotion excessive. Il est resté –
comment dire ? – cool.
Qu’il parle de soins de santé, d’énergie ou de menaces extérieures, Obama
échoue presque toujours à transmettre un sentiment d’urgence. Certes, il a
l’air plutôt sincère – convaincu, même. Mais, devant tant d’impassibilité, on
finit par se demander s’il prend bien la véritable mesure des choses. Car, à
l’évidence, l’Américain moyen a le sentiment que ses problèmes exigent une
attention urgente. Il faut que le prix de l’essence baisse tout de suite. Que
le marché de l’immobilier se stabilise tout de suite. Que le chaos
international qui nous entoure soit réglé tout de suite. Il faut faire
quelque chose au sujet de la couverture santé, du réchauffement climatique, de
l’immigration clandestine, et des délocalisations d’usine. Et il faut le faire
tout de suite.
Le côté survolté de McCain pourrait au fond paraître rassurant
Dans le camp opposé, John McCain vibre littéralement chaque fois qu’il prend la
parole. L’homme est âgé, mais il a de l’énergie, parfois même à l’excès (on ne
gagne pas le surnom de “Tornade blanche” en tenant des propos mesurés). Il
tonitrue, il caresse dans le sens du poil, il sort régulièrement de ses gonds.
Il a la réputation d’un homme qui agit plus avec ses tripes qu’avec sa tête.
Considéré d’un œil froid, c’est exactement le genre de leader qui devrait
inquiéter les électeurs. Mais il se trouve que l’électorat est déjà inquiet.
Et, dans ces circonstances, le côté en permanence survolté de McCain pourrait
paraître, au fond, rassurant.
Je ne veux pas dire par là qu’Obama doit chercher à modifier sa nature profonde
ou faire mine de se préoccuper de problèmes qui ne sont pas importants à ses
yeux. Et, bien entendu, la plupart des problèmes n’ont pas de solution
immédiate. Mais le candidat démocrate devrait prendre conscience que le
sang-froid en toutes circonstances n’est peut-être pas ce dont les électeurs
ont envie dans cette élection. Car ne nous méprenons pas : Obama n’est pas un
bosseur rasoir qui nous noie sous les chiffres sans être capable de les
rassembler en un récit convaincant (ce qui est le talon d’Achille habituel des
démocrates). Le problème, c’est que la façon qu’il a de débiter son récit est
un peu trop équilibrée et élégante pour un pays nerveux comme le nôtre. Bill
Clinton n’a pas bâti sa carrière sur sa seule capacité à sentir les
préoccupations des électeurs, mais aussi sur son aptitude à leur montrer
qu’il les ressentait. Obama doit absolument trouver une façon de faire
similaire. Et vite. Parce que, en dépit de son charme, une attitude cool a
aussi ses limites.
* Les italiques sont ceux de l’auteur.
Michelle Cottle
The New Republic